La Nouvelle Revue d'Histoire : "L'histoire à l'endroit". Fondée en 2002 par Dominique Venner et dirigée par Philippe Conrad.

La définition du phénomène demeure incomplète, au point que les grilles d’interprétation utilisées pour en rendre compte apparaissent dangereusement obsolètes, le mot « terrorisme » désignant souvent des réalités bien différentes.

Éditorial et sommaire du HS n°13 (automne-hiver 2016)

Éditorial et sommaire du HS n°13 (automne-hiver 2016)

Comprendre le terrorisme et relever le défi

Semant l’inquiétude et suscitant une condamnation générale, le « terrorisme » s’est progressivement installé au premier rang des préoccupations des Français. Mais, demeure le sentiment diffus qu’il n’a pas été analysé pour ce qu’il est, que les dirigeants des pays occidentaux n’ont pas évalué correctement la nature du défi qui leur est lancé. La définition du phénomène demeure incomplète, au point que les grilles d’interprétation utilisées pour en rendre compte apparaissent dangereusement obsolètes, le mot « terrorisme » désignant souvent des réalités bien différentes.

Si l’on se réfère à l’étymologie, le latin terrere signifie « terrifier » ou « effrayer », mais le mot peut recouvrir des acceptions très larges. Il apparaît dès 1794 pour rendre compte de la politique de « Terreur » mise en œuvre à partir de l’automne 1793 par le Comité de salut public pour sauver la République menacée. Cette terreur organisée par l’État n’a guère à voir avec les violences aveugles exercées par des minorités se jugeant opprimées. Dans un autre registre, le tyrannicide légitimé par les clercs, notamment dans le contexte des guerres religieuses de l’époque moderne correspond à un contexte bien particulier. L’assassin d’Henri III ou les conspirateurs qui tentent de faire sauter le Parlement anglais appartiennent à un autre monde de croyances et de représentations.

La machine infernale de la rue Saint-Nicaise, qui doit tuer le Premier Consul Napoléon Bonaparte s’inscrit davantage dans notre vision contemporaine du terrorisme, tout comme l’attentat qui coûte la vie – à Marseille, en octobre 1934 – au roi Alexandre de Yougoslavie. Il s’agit là, en faisant disparaître un chef d’État, de créer les conditions d’un chaos dont on attend qu’il permette de changer la situation politique mais l’attentat, réussi ou non, n’est qu’un épisode d’une lutte pour le pouvoir, il ne signifie pas une volonté de bouleversement radical de l’ordre établi et de la société dans son ensemble.

L’émergence du sentiment national va bientôt fournir, à partir du XIXe siècle, une légitimité nouvelle aux actions violentes de peuples luttant pour leur émancipation, des Irlandais rebelles aux Macédoniens privés d’État lors des recompositions territoriales balkaniques, des combattants de l’Irgoun sioniste aux fellaghas algériens. Selon le point de vue adopté à propos de ces différents conflits, le « terroriste » peut se transformer en « résistant », sans qu’il soit possible de départager sans appel les différents acteurs, le cas de l’interminable conflit israélo-palestinien demeurant exemplaire à cet égard.

Le terrorisme révolutionnaire visant à abattre l’ordre politique et social existant est d’une autre nature. Les nihilistes russes champions de la « table rase », les militants de la Fraction armée rouge allemande d’Andreas Baader hostiles à « l’impérialisme », ceux des Brigades rouges déterminés à établir un « pouvoir ouvrier » aux contours des plus flous se reconnaissent dans leur volonté commune du recours à la violence sachant que celle-ci, selon la formule de Raymond Aron, va obtenir « des effets psychologiques hors de proportion avec ses résultats physiques. » Elle doit intimider et faire peur, afin de créer les conditions d’un chaos dont on espère qu’il mobilisera « les masses » en vue du triomphe de la Révolution, porteuse des éternels « lendemains qui chantent ». Il faut toutefois constater que, le plus souvent, les capacités de résilience des sociétés ont permis de venir à bout des minorités violentes.

Le terrorisme auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est d’une nature différente. Il ne vise pas le triomphe d’une idéologie révolutionnaire telle que celles que nous avons connues depuis deux siècles, il ne revendique aucun territoire particulier. Il vise en revanche l’établissement d’un Dar al-Islam appelé à se confondre avec l’ensemble du monde. La bataille engagée dans un monde musulman, fort d’un milliard trois cents millions d’âmes apparaît, de ce point de vue, décisive car la victoire des islamistes, aujourd’hui encore minoritaires, signifierait la fatalité d’un « choc des civilisations » porteur de terribles conséquences.

Philippe Conrad

Boutique. Voir l’intégralité des numéros : cliquez ici

Au sommaire de ce numéro

– Éditorial. Comprendre le terrorisme et relever le défi. Par Philippe Conrad
– Les “Assassins”, le modèle originel du terrorisme ? Par Philippe Conrad
– 1605. La conspiration des poudres. Par Evelyne Navarre
– Le chariot piégé de la rue Saint-Nicaise. Par Martin Benoist
– La “machine infernale” de Fieschi. Par Philippe Parroy
– 1858. Orsoni entend venger l’Italie trahie. Par Christian Lépagnot
– Le nihilisme russe ou la “table rase”. Par Philippe Parroy
– Ravachol, les anarchistes et la République. Par Philippe Fraimbois
– L’Oustacha croate de 1929 à 1945. Par Philippe Conrad
– Les pionniers du sionisme recourent à la terreur. Par Philippe Parroy
– Le terrorisme, l’arme du FLN. Par Roger Vétillard
– La nouvelle guerre de l’IRA. Par Evelyne Navarre
– La Fraction armée rouge face à la République fédérale allemande. Par Martin Benoist
– L’Italie des “années de plomb”. Par Gabriele Adinolfi
– L’ETA : du nationalisme au marxisme. Par Arnaud Imatz
– Le terrorisme est-il consubstantiel à l’Islam ? Par René Marchand
– Le double financement du terrorisme islamiste. Par Jean-Paul Gourévitch
– Le terrorisme islamiste en France. Histoire et perspectives. Par Yvan Blot

La Nouvelle Revue d'Histoire