Éditorial et sommaire du n°86 (septembre-octobre 2016)
L’idéologie américaine. Éditorial de Philippe Conrad (NRH n°86. Dossier : Aux sources de l’exception américaine – 1620-1917)
Les Américains se préparent à élire en novembre un nouveau président – ou, pour la première fois, une présidente – et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce scrutin sera à nul autre pareil.
Barack Obama, premier occupant noir de la Maison-Blanche, a déjà créé la surprise en 2008 et rêvé d’ouvrir une nouvelle phase « postraciale » de l’histoire des États-unis. Mais, huit ans plus tard, son bilan n’apparaît guère convaincant et le « populisme », longtemps contenu par les appareils politiciens et les milieux financiers et médiatiques qui les soutiennent, a plus que jamais le vent en poupe. Ce dont témoignent les succès inattendus rencontrés par Bernie Sanders dans le camp démocrate et par Donald Trump, sorti vainqueur des primaires républicaines. une éventuelle victoire de ce dernier constituerait sans nul doute une rupture historique majeure et un choc géopolitique de grande envergure.
Il apparaît donc plus urgent que jamais d’analyser et de comprendre les idées, les mythes et les représentations qui ont, au cours des trois derniers siècles, construit une « exception » américaine qui combine l’affirmation d’une identité nationale tout à fait particulière et un messianisme moralisateur à prétention universelle. La communauté de destin qui semblait unir l’Amérique et l’Europe – sur fond d’adhésion à la démocratie représentative, de prospérité matérielle garantie par le progrès technique et la libre entreprise, de défense, durant tout le temps de la guerre froide, contre la menace soviétique – n’apparaît plus aujourd’hui aussi évidente qu’hier, alors que sont désormais mis en cause nombre d’éléments majeurs du « modèle » états-unien.
L’identité des colonies anglaises établies sur la côte orientale de l’Amérique du nord s’est d’abord fondée sur le rejet de l’Europe qu’avaient fuie les dissidents religieux ou les populations poussées par la misère. C’est vers une nouvelle terre promise que ces protestants venus d’Angleterre ou de Hollande font voile au XVIIe siècle et c’est la Bible qui constitue la référence religieuse et morale de ces premiers colons, prompts à considérer qu’ils forment un nouveau « peuple élu » bénéficiant d’une prédestination d’origine divine. Comme John Winthrop, ils sont convaincus qu’ils vont bâtir « la cité sur la colline » qui fera figure de modèle pour toute l’humanité. Cette inspiration religieuse demeure un élément structurant de l’identité états-unienne, des Pères pèlerins aux revivals successifs et jusqu’à l’évangélisme contemporain.
Mais la place occupée par les croyances et les espérances religieuses coexiste avec le rationalisme issu des Lumières qui anime les élites coloniales porteuses de l’indépendance et de l’avènement d’une république constitutionnelle fondée sur la séparation des pouvoirs et l’avènement d’un régime parlementaire. Les promesses d’émancipation individuelle et d’expansion territoriale garanties par la Providence font peu de cas des indigènes amérindiens réduits au rang des Philistins de l’ancienne terre promise et c’est sur leur exclusion, voire leur élimination, que se construit ce nouveau monde.
Dans le même temps, le mythe de la « frontière » commande la conquête et l’exploitation des immenses étendues de l’ouest et ce n’est pas sans raison que le président Kennedy viendra le réactiver au début des années 1960. La spectaculaire croissance démographique et économique du pays vient donner ensuite tout son sens à l’idée d’une « destinée manifeste » formulée dès 1845 par le journaliste John O’Sullivan.
C’est avec la conviction qu’ils ont une mission spécifique à remplir sur cette terre que les américains vont ensuite ouvrir la phase « impérialiste » de leur histoire, convaincus, comme l’affirme un sénateur de l’indiana « que Dieu fait de nous les maîtres organisateurs du monde, afin d’instituer l’ordre là où règne le chaos ; il nous a donné l’esprit de progrès pour vaincre les forces de réaction dans le monde entier. Il a placé en nous le don de gouverner afin que nous donnions un gouvernement aux peuples sauvages et séniles. Sans une telle force, le monde retournerait dans la barbarie et dans la nuit… Il a désigné le peuple américain comme sa Nation élue pour commencer la régénération du monde ».
Philippe Conrad
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Au sommaire de ce numéro
Éditorial. L’idéologie américaine, par Philippe Conrad
Rencontre. Historien des relations internationales. Entretien avec Georges-Henri Soutou. Propos recueillis par Philippe Conrad
Actualité. Le billet inattendu de Péroncel-Hugoz. La geôlière égyptienne de Saint Louis
Racines. La bataille d’Hastings. Par Gérard Hocmard
Racines. Guillaume le Conquérant dans la mémoire anglo-normande. Par Franck Buleux
Découvertes. Chanter La Marseillaise. Par Sylvain Pérignon
1914-1918. Gallieni, créateur d’Empire et défenseur de Paris. Par Rémy Porte
Politique. Paul Reynaud et la fin de la IIIe République. Par Pascal Cauchy
Décryptage. Pierre Boutang, philosophe engagé. Par Philippe d’Hugues
Portrait. Blaise de Monluc, un acteur du “temps des troubles”. Par Emma Demeester
Jeu. Blaise de Monluc et son temps
Mémoire des lieux. Jumièges, le trésor de la Seine normande. Par Constance de Roscouré
La caméra explore l’histoire. L’Appel du silence. Par Philippe d’Hugues
Livres. Actualité de livres historiques
Un historien, une œuvre. Albert Mathiez. Par Olivier Zajec
Dossier : Aux sources de l’exception américaine – 1620-1917
– Présentation du dossier
– Chronologie : la genèse d’une identité particulière
– Le puritanisme fondateur. Par Evelyne Navarre
– La République américaine se dote d’une Constitution. Par Philippe Conrad
– Le vent d’Amérique souffle sur la France. Par Philippe Parroy
– Le sort malheureux des Indiens. Par Jean Kappel
– La “destinée manifeste” de l’Amérique. Par Philippe Conrad
– Le mythe de la frontière. Par Philippe Parroy
– La part allemande de l’Amérique. Par Éric Mousson-Lestang
– La nature de l’exception américaine. Entretien avec Nicolas Kessler. Propos recueillis par Pauline Lecomte
– Thomas Molnar, critique lucide du rêve américain. Par Arnaud Imatz
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