Bernard Legoux, La Désinformation autour du régime de Vichy
Les gouvernements dirigés par le maréchal Pétain s’appliquèrent à protéger les Français de la barbarie nazie et à faire revenir chez eux un million et demi de prisonniers. Ce qui, dit un peu familièrement, limita la casse et empêcha que la France connaisse le sort dramatique de tous les pays occupés par l’Allemagne.
Jusque dans les années 1980, cela fut reconnu par la plupart des historiens. Puis apparut le courant dit « historiographie nouvelle » qui s’appliqua – avec des résultats – à assimiler le régime de Vichy au nazisme, c’est-à-dire au mal absolu.
Bernard Legoux, tenu pour l’un des meilleurs spécialistes de l’année 1940, analyse et démonte les procédés de cette désinformation. Qu’elles qu’aient pu être les erreurs du régime de Vichy, inévitables sous la pression constante des occupants, la France, même sous la botte, prépara les conditions de sa libération par les armées alliées, certes, mais aussi par l’armée française d’Afrique du Nord organisée par les chefs militaires de Vichy.
Alain Sanders
Bernard Legoux, La Désinformation autour du régime de Vichy, éd. Atelier Fol’Fer, 322 p., 25 €
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L’heure est aux anniversaires et aux commémorations en cet été 2014. La France se souvient du déclenchement de la Grande Guerre. Au début du mois de septembre, c’est le rappel du « miracle » de la Marne qui occupera pendant quelques jours les mémoires. Mais le souvenir de l’Union sacrée qui réunit alors le pays face à l’immense tragédie ne peut occulter un épisode moins consensuel de notre histoire nationale, la Libération de 1944, tant attendue, mais entachée par les injustices et les crimes qui accompagnèrent l’Épuration. Une lecture partisane des événements s’imposa naturellement au lendemain de la guerre. Elle affirmait la légitimité de la dissidence gaulliste de 1940, oubliait que les pleins pouvoirs avaient été votés au maréchal Pétain par une large majorité des députés socialistes et réduisait le régime de Vichy à un pouvoir autoritaire et réactionnaire imposé au pays à la faveur de la défaite. Entré tardivement dans la résistance, le Parti communiste, celui des « 75 000 fusillés », magnifiait son rôle dans la lutte contre l’ennemi pour mieux faire oublier l’exil moscovite de son chef et s’attribuer un brevet de patriotisme, assez surprenant quand on se souvient des sabotages organisés, durant la « drôle de guerre » 39-40, dans les usines d’armement… Un historien tel que Robert Aron a très vite remis en cause les interprétations par trop simplistes de la période mais la théorie « paxtonienne » (1), qui s’est imposée depuis une trentaine d’années dans les médias dominants, a contribué à l’occultation de bien des vérités sur lesquelles il est utile de revenir aujourd’hui.
Préparée par le général Weygand et commandée en Italie et en France par des chefs demeurés loyaux au gouvernement de Vichy en 1940, l’armée d’Afrique reprend la lutte en novembre 1942 lors de la rupture de l’armistice. Elle a constitué le principal instrument militaire du retour de la France dans la guerre, en Tunisie, en Italie et en Provence, même si le rôle de la 2e division blindée « gaulliste » du général Leclerc a un peu occulté tout cela dans la mémoire collective.
Les sacrifices consentis par les maquisards sont naturellement venus s’inscrire dans l’épopée de la Libération. La figure d’un Tom Morel, le héros des Glières, trouve naturellement sa place dans le panthéon des combattants de la Résistance, mais il apparaît aujourd’hui que l’importance militaire des grands rassemblements constitués dans des zones montagneuses et isolées est demeurée limitée.
Longtemps gommée d’une histoire écrite par les vainqueurs, l’Épuration qui, à des degrés divers, s’est abattue, à tort ou à raison, sur une partie des Français demeure l’objet de débats passionnés, ce dont témoigne le fait qu’il est encore impossible de présenter un bilan précis des exactions et des crimes commis au cours de l’été 1944. Il faut bien admettre que la France vaincue et occupée – dans laquelle le gouvernement de Vichy avait perdu, depuis novembre 1942, les seuls atouts dont le maintien avait justifié l’armistice – a connu, en 1943-1944, la « guerre civile » dont parlait Henri Amouroux. Ce sont les vaincus de ce conflit fratricide – fidèles au maréchal Pétain, miliciens, militants des partis collaborationnistes, simples notables locaux – qui seront les victimes de la « justice » exercée par les communistes ou par d’authentiques bandits métamorphosés en « résistants ».
La lecture canonique de la période a contribué à la formation d’un mythe fondateur de la Libération, régulièrement invoqué pour légitimer la victoire d’un camp sur l’autre ou pour disqualifier aujourd’hui toute parole dissidente. Il apparaît donc nécessaire de relire ces moments à la lumière d’une enquête historique impartiale et débarrassée des préjugés qu’a fatalement engendrés cette époque.
Pour constater, avec Georges Pompidou, que « les vrais héros – ceux qui prirent volontairement et lucidement tous les risques sans réfléchir – sont peu nombreux, de même que sont rares les traîtres conscients et résolus ».
Philippe Conrad
Le temps est venu d’une histoire impartiale. Par Philippe Conrad
Guillaume le Conquérant et son temps. Par Emma Demeester
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Vingt minutes pour la mort. Robert Brasillach : le procès expédié
Le prétexte lui est offert par le procès de Robert Brasillach, dont la mort programmée, fut exécutée à l’aube du 6 février 1945. M. Bilger rappelle que les magistrats de l’Épuration venaient tous de Vichy : « Ils n’ont même pas retourné leur veste intellectuelle et judiciaire. Tout naturellement, ils ont glissé d’un rôle à un autre, d’une sévérité à une autre et ont osé donner des leçons à un accusé qui s’était engagé là où eux avaient agi en fonctionnaires. J’ai en horreur tous ces salamalecs, ces courtoisies de façade, cette absurde et feinte chevalerie judiciaire qui laisse croire à des combattants loyaux quand les dés étaient pipés. »
Au passage, l’auteur révèle quelques chiffres ignorés. Sous Vichy, entre 1941 et 1944, les juges des juridictions d’exception ont prononcé 19 condamnations à mort suivies d’une seule exécution. À la Libération, les mêmes magistrats siégeant dans les cours de justice ont édicté près de 7 000 condamnations à mort, dont 767 suivies d’exécution. La magistrature a franchi tranquillement la frontière entre la légalité de Vichy et la légitimité du nouveau pouvoir gaulliste, sans trouble apparent, obéissant à ce qui lui était demandé.
Dans ce livre d’une rare probité, Philippe Bilger examine le rôle et le comportement des acteurs du procès de Robert Brasillach, le 19 janvier 1945. Six heures, sans instruction préalable, et vingt minutes de délibéré, pour parvenir à la décision de mort, prévue à l’avance. L’accusé, d’abord, Robert Brasillach, 36 ans. « Un être plein de contradiction » écrit M. Bilger qui fait du critique littéraire, du romancier tendre et léger, du poète et du polémiste violent, un portrait juste et nuancé dans l’ensemble. Surtout, il lui reconnaît l’intelligence et le courage d’avoir compris par avance qu’il serait seul contre tous et que son unique recours, face aux juges et à l’Histoire, serait de bien se tenir : « Le dernier mot de la morale reste l’allure ». Et d’allure, à aucun instant, Brasillach n’en a manqué.
M. Bilger est beaucoup plus réservé sur son avocat, Me Isorni, dont l’intégrité n’est pas en cause. Mais, dit-il, cet avocat n’avait pas mesuré la réalité implacable de ce type de procès jugé d’avance, hors de toute justice. Au passage, et par contraste, il rend hommage à la « défense de rupture » adoptée par Me Vergès dès la guerre d’Algérie. Un type de défense qui récuse la légitimité des juges et soutient le bon droit d’un accusé que l’on sait condamné.
Mais, on l’a dit, l’avocat général Bilger se montre surtout indigné en connaissance de cause par les magistrats de ce procès inique. L’ayant lu, il serait difficile de ne pas partager son indignation.
Dominique Venner
Vingt minutes pour la mort. Robert Brasillach : le procès expédié. Par Philippe Bilger, Le Rocher, 161 p., 17,90 €
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En août 1940, peu après la défaite française, Pierre Laval déclare à Paul Morand qui rentre de Londres : « L’Angleterre a fait son temps. Quoi qu’il advienne, elle perdra son empire. […] Elle n’a pas voulu partager le monde avec l’Allemagne et le monde est sur le point de lui échapper. […] L’empire britannique deviendra un empire américain (1). » Ce n’était pas mal vu.
Quarante ans seulement s’étaient écoulés depuis la première année du siècle. Au regard de l’histoire, ces quarante années pèsent d’un poids démesuré. Le XXe siècle s’était ouvert sur la promesse d’une hégémonie européenne sans partage (2). Rien n’illustre mieux cette certitude que la conquête de Pékin, à l’été 1900, par une petite armée européenne commandée par un général allemand.
Qui aurait pu imaginer que, moins d’un demi-siècle après, ravagée par deux guerres mondiales, l’Europe se retrouverait divisée et impuissante, gouvernée ici par des commissaires soviétiques, là par les sénateurs américains (3) ?
Quel fut le sens de cette nouvelle guerre de Trente Ans (1914-1945) qui fut à bien des égards une guerre de religion dans la mesure où les idéologies s’apparentent à des religions ? S’impose d’abord l’interprétation des vainqueurs, une interprétation idéologique et morale, désignant des « bons » parfaitement bons et des « méchants » vraiment très méchants. Mais ce n’est qu’une interprétation que corrigera une nouvelle époque dans laquelle nous commençons à entrer. Méditant sur le premier conflit européen en relisant Thucydide, Albert Thibaudet vit dans la guerre du Péloponnèse une préfiguration de ce que vivait l’Europe de son temps. Encore son étude, écrite à l’arrière des tranchées à partir de 1917 fut-elle publiée en 1922, avant que n’intervienne la suite du conflit. Agrégé d’histoire et de géographie, philosophe et critique littéraire, Albert Thibaudet (1874-1936) était un esprit universel. Il savait qu’en dépit des masques utilisés par les puissances pour leur justification, l’histoire n’est pas soumise à la morale. Fille de l’énergie et de la force, elle est écrite par les peuples aptes à s’imposer. Il voit que 1914 répète – 431. La guerre du Péloponnèse est née de la mise en présence de deux systèmes d’alliance ordonnés autour de la puissance financière et maritime d’Athènes et de la puissance terrienne et continentale de Sparte. Implicitement, Thucydide a formulé une loi qui gouverne aussi les guerres modernes : « La tête d’une coalition est constituée nécessairement par la plus grande puissance financière et maritime, même si elle n’est pas la plus grande puissance politique : la petite Hollande contre Louis XIV, l’Angleterre à la tête des coalitions contre la France en 1793 et l’Allemagne de 1914 (4). » S’il avait vécu, Thibaudet aurait ajouté 1939, sachant que l’Angleterre allait être bientôt supplantée dans son rôle par les États-Unis.
La coalition de 1914 s’effectua contre la puissance centrale européenne qui avait émergé dans le dernier tiers du XIXe siècle. Aucune autre ne connut un tel développement économique et une telle fécondité dans l’art (musique), la science et la philosophie. Tout annonçait pour elle une destinée d’exception. C’est alors qu’elle s’est heurtée à la puissance maritime anglo-américaine alliée à la puissance soviétique.
Après l’échec des anciennes élites allemandes en 1918, la relève fut prise à partir de 1933 par de nouvelles élites sorties de la plèbe et de la boue des tranchées. Dans leur effort cyclopéen et leur stratégie aussi brutale que maladroite, elles ont échoué à leur tour, mais de façon beaucoup plus définitive que les précédentes. De l’Europe, il ne restait plus que les ruines de son ancienne civilisation, tandis que s’imposait la domination sans partage de ses ennemis, atteints eux aussi, plus tard, par leurs propres ferments de décomposition.
Dominique Venner
Une guerre de Trente Ans. Par Dominique Venner
Entretien avec Jean Tulard
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Emmanuel Le Roy Ladurie me reçoit dans son clair bureau du Collège de France et avant que notre entretien ne commence, je le complimente sur sa plus récente Histoire des paysans français, de la Peste noire à la Révolution (Seuil, « l’Univers Historique »). Cet ouvrage rassemble, après bien des années, deux études considérables parues naguère chez des éditeurs différents. Je ne résiste pas à la tentation d’interroger l’auteur sur les récentes concentrations dans l’édition. Risque-t-on d’en être prisonnier ?
Emmanuel Le Roy Ladurie : Cela vaut quand même mieux que d’être un auteur au gré de ce qu’on appelle les « fonds de pension ».
Le ton est donné d’un entretien souvent assaisonné d’un humour féroce : la réputation d’homme d’esprit d’Emmanuel Le Roy Ladurie n’est pas surfaite.
NRH : Contrairement à beaucoup, vous assumez volontiers un contexte familial où les rebelles et les anticonformistes ne manquent pas. Dans un petit volume consacré aux grands procès politiques, vous évoquez votre grand-père, chassé de l’armée à l’époque des Inventaires et, il y a quelques années, vous avez vous-même présenté les souvenirs de votre père qui fut ministre de l’Agriculture du gouvernement de Vichy.
ELRL : Mon grand-père, en effet, a joué un rôle dans cette époque 1902-1905 qui a fait de la France l’état le plus laïc d’Europe après la Turquie. Celle-ci imposera la laïcité dans les années 1920, mais l’affaire des Inventaires, au début du siècle, a en quelque sorte été en France un pendant de droite de l’affaire Dreyfus. Mon grand-père a alors refusé le rôle répressif qu’on voulait lui faire jouer et il fut pour cela chassé de l’armée. C’est une phase très intéressante de l’histoire de la droite française, d’autant plus qu’elle n’est pas contaminée par Vichy (question de date) et qu’on peut donc en faire état. Dans le livre, du reste, j’avais équilibré les points de vue.
NRH : Vous ne faites pas partie de ces historiens qui cherchent à accuser ou à justifier.
ELRL : Non, j’expose. Comme on disait jadis en URSS, je suis un « factologiste vulgaire ». Je suis même un « matérialiste » au sens que ce mot avait jadis : à Bâle, au XVIe siècle, on appelait ainsi un marchand de « matière », par exemple un marchand d’huile.
NRH : Vous prenez volontiers les mots dans un sens inhabituel. Vous avez du goût pour les mots du terroir, vous employez à la fois un vocabulaire précis et quelques coquetteries.
ELRL : Icelle, icelui sont beaucoup plus adéquats et pratiques que celle-ci, celui-là.
NRH : Est-ce le caractère rural de votre famille qui a décidé de vos orientations ?
ELRL : Mon père était d’une famille bourgeoise. Il n’est pas « revenu à la terre », il est venu à la terre après une maladie, et on peut dire qu’il n’a pas fait de l’argent avec de l’agriculture mais plutôt qu’il a fait de l’agriculture avec de l’argent, car il s’y est quelque peu ruiné. Il a aussi été un leader agricole ; sa carrière a été interrompue parce qu’il a été ministre de Vichy, bien qu’il ait été ensuite résistant. Il était sensible aux récoltes. Combien de fois l’ai-je vu inquiet pour ses blés du fait des pluies d’été…
NRH : Au départ, votre terrain, c’était donc plutôt la Normandie, et puis vous avez bifurqué vers le Midi.
ELRL : Oui, je suis d’ailleurs très favorable à la réunification de la Normandie qui, de plus, est assez facile à réaliser. Certes, il y a le poids des présidents de région qui y sont parfois hostiles, et puis nous avons perdu Jersey et Guernesey du fait d’une carence de Philippe Auguste.
J’ai envie de dire à Emmanuel Le Roy Ladurie qu’à mon avis les Normands des îles ont, au contraire, eu bien de la chance d’être oubliés par les traités et de subir ainsi durablement la douce tutelle de la couronne britannique…
ELRL : Ma femme étant méridionale, j’ai vécu huit ans en Languedoc. Cela m’a donné une complémentarité entre Nord et Sud. Je suis plus du Sud, sans doute. Cependant, je n’ai jamais voulu faire comme Pierre Vilar qui est devenu le drapeau des Catalans. C’est vrai qu’il a obtenu ainsi une popularité admirable. Il m’aurait été assez facile de brandir le drapeau occitan. Je n’ai pas eu envie de le faire. Je crois néanmoins être bien considéré dans les pays d’oc, d’autant que j’ai déjà publié deux volumes sur les Platter qui furent sans doute les meilleurs connaisseurs de Montpellier au XVIe siècle. Je regrette que la mairie de Montpellier ne s’intéresse pas davantage aux Platter. J’aimerais leur consacrer trois ou peut-être même cinq volumes…
NRH : Montaillou a subitement fait de vous un historien très connu du très grand public. Avec trente ans de recul, comment analysez-vous ce succès ? Est-il dû à la mode pro-cathare qui sévissait à l’époque ?
ELRL : Non. La mode à laquelle vous faites allusion peignait une histoire en noir et blanc avec de méchants curés et de gentils cathares. C’était une présentation abusive. Les pauvres cathares, ce n’était d’ailleurs pas leur faute car, peu nombreux, persécutés, il ne reste à peu près rien de leur présence effective, hélas ! En revanche, j’étais en présence d’un document extraordinaire fait par ce très grand flic qu’était l’évêque Fournier (qui deviendra pape sous le nom de Benoît XII). C’était un très grand texte. Les gens s’y expriment dans des conditions certes « difficiles » mais sans, semble-t-il, qu’il y ait eu tellement de torture « essentielle ». Ce qui émerge, c’est plutôt l’extraordinaire intelligence d’un policier qui peut aussi parfois se montrer bienveillant. Ce livre, par la suite, a beaucoup été traduit : en anglais, assez mal, mais aussi en chinois ; cela leur a-t-il ouvert certaines idées sur la liberté de penser ?
NRH : Avec le Carnaval de Romans, vous avez donné un autre coup de projecteur sur la micro-histoire.
ELRL : Ce livre (relatif au XVIe siècle) m’avait été inspiré par un film américain, West Side Story, où l’on voyait des bandes danser et s’affronter en fonction de leurs origines, mais si c’était à refaire j’élargirais le propos. J’ai en effet un intérêt particulier pour les Alpes parce qu’une partie de ma famille est du Dauphiné et j’ai déjà écrit un livre sur les glaciers de jadis.
NRH : Dans l’Histoire des Paysans, vous utilisez aussi un document extraordinaire avec le Journal de Gouberville. N’avez-vous jamais eu envie de le publier dans son intégralité ?
ELRL : La chose est faite, par d’autres éditeurs.
NRH : Comment avez-vous connu Gouberville ?
ELRL : Mon père avait une belle bibliothèque historique qu’il tenait de son propre père. Mon grand-père, le commandant que nous évoquions tout à l’heure, avait une bibliothèque d’homme de droite. La bibliothèque d’un homme de droite de 1900 est bien sûr différente de celle du droitier d’aujourd’hui : jadis, Maistre, Bonald… Mon grand-père donc avait au moins l’un des deux volumes de Gouberville et, dans son genre, mon père était une sorte de Gouberville.
NRH : Pas exceptionnel éleveur, mais question pommes et cidre « formidable » ? Mais venons-en un peu à votre itinéraire personnel, même si vous l’avez déjà raconté dans un livre de souvenirs.
ELRL : Entre 1949 et 1956, j’étais communiste. Je crois que c’est à la fois une expérience extrêmement négative mais, en même temps, j’ai eu l’occasion de connaître des historiens excellents comme François Furet, Alain Besançon ou même Albert Soboul. En fait, c’est une expérience très ambiguë. Personnellement, je la juge très négative, mais elle m’a appris quelque chose : je connais très bien le marxisme et je suis déniaisé, compte tenu aussi du fait que le marxisme a parfois des analyses pertinentes.
NRH : Vous pensez peut-être à la théorie des « chômeurs, armée de réserve du capital » qui, transposée à une dimension planétaire, pourrait être une bonne analyse des phénomènes d’immigration ?
ELRL : Le marxisme a été une école de formation, perverse, mais intéressante à condition d’en sortir. Mon éloignement par rapport au PCF a été brutal de 1953 à 1956 ; contrairement à celui des gauchistes de 68 qui sont passés si rapidement aux ministères, aux appartements de fonction et aux grosses cylindrées ; ils n’ont eu ni le temps ni l’envie de faire repentance.
NRH : La politique, ensuite, ne vous a plus tenté ? Vous êtes plutôt resté un observateur attentif et critique ?
ELRL : J’ai des repères. Je suis passé par le PSU, lequel était un petit parti qui a fini par être au pouvoir (mais je n’y étais plus !). Je me souviens avoir voté Lecanuet en 1965 et ensuite j’ai apprécié Giscard. Puis, en 1981, j’ai découvert que j’obtenais une « mauvaise note » quand j’ai publié un livre de souvenirs. Alors qu’auparavant j’étais devenu une espèce de personnage de télévision, après 1981 j’en fus assez largement exclu, ce qui d’ailleurs m’a fait le plus grand bien.
NRH : Cela dispersait trop votre énergie ?
ELRL : Non, mais la présence médiatique devient une forme de théâtre excessif quand elle surabonde. Depuis, comme disait une vieille Anglaise, « j’have toujours voted conservative ». Il y a aussi eu la Bibliothèque nationale qui a été un grand moment de ma modeste existence. J’ai « duré » six ans comme administrateur général et six ans comme président du Conseil scientifique où j’ai aidé mes présidents de la BNF du mieux que je le pouvais. J’ai eu la chance d’initier l’opération d’informatisation du catalogue.
NRH : Votre travail scientifique n’a pas trop souffert de ces responsabilités écrasantes ? Vous travailliez beaucoup sur archives ?
ELRL : Au début, oui, ensuite moins.
NRH : Nous évoquions tout à l’heure le considérable ouvrage que vous venez de consacrer à l’Histoire des paysans français. Le résumer en quelques phrases pour nos lecteurs, est-ce faisable ?
ELRL : C’est l’étude de ce qu’on appelle les grands cycles agraires. Il y eut d’abord un cycle gallo-romain, retombé lors des grandes invasions. Puis le grand cycle médiéval dont on ne sait pas exactement quand il commence. Pour certains dès les Mérovingiens ; Duby le fait démarrer vers l’an mil, Barthélémy en 1070. Le cycle connaît son apogée au XIIIe siècle et même dans la première moitié du XIVe. Puis arrivent la peste et la guerre de Cent Ans et l’on s’écroule alors de 20 à 21 millions d’habitants dans l’Hexagone (pour prendre une figure conventionnelle) jusqu’à environ 10 millions dont 9 millions de paysans. À l’époque, il fallait environ 8,5 agriculteurs pour nourrir 10 personnes (dont eux-mêmes). Cela n’a rien à voir avec les moyens modernes. Ensuite, « ça redémarre » et l’on atteint un second plafond, on retrouve les 20 millions. Un troisième cycle se dessine à partir de 1715-1720 et on passe alors de 20 à 28 millions à la veille de la Révolution, dont plus de 20 millions de ruraux. Le cycle culminera à 36 millions de Français sous Louis-Philippe et dans les premières années du Second Empire. Ça, c’est la branche montante, et puis le monde agricole se vide pour arriver aux 664 000 exploitations d’aujourd’hui. Mais attention ! Le monde rural « non agricole », lui, progresse pour devenir cette espèce de banlieue que nous connaissons.
NRH : Vous soulignez vous-même le côté un peu artificiel de votre découpage qui vous fait vous arrêter à la Révolution.
ELRL : Il n’est pas qu’artificiel. En dépit des guerres de la Révolution et de l’Empire, le monde rural se maintient et la population continue à augmenter. En revanche, il y a une coupure fondamentale, c’est la fin de la seigneurie. Dans les faits, elle se maintient en quelque sorte : les châtelains du XIXe siècle restent crypto-seigneuriaux. Mais, au sens technique du terme, elle est détruite alors qu’elle venait du fond des âges. Depuis toujours, là où il y avait un seigneur, il y avait un paysan. C’est ce couple que détruit la Révolution. Celle-ci a fait en quelques années ce qui en Angleterre ou en Allemagne prendra beaucoup plus de temps. La Révolution française n’a pas ruiné notre pays (comme le fera la révolution russe pour la Russie), dans la mesure où les biens d’église ont été en bonne partie achetés par des bourgeois ruraux. D’ailleurs, la paysannerie s’était enrichie de façon continue tout au long du XVIIIe siècle et détenait 40 % du sol. Il est donc difficile, comme le font certains, à la fois d’admettre que la population était passée de 20 à 36 millions et que les famines avaient disparu, et de dire en même temps qu’il n’y a eu aucun progrès technique agricole de 1700 à 1840.
NRH : On est un peu frustré de vous voir vous arrêter à la Révolution et de ne faire que dessiner ce qui se passera après.
ELRL : Les déclins ne sont pas aussi agréables que les progressions…
NRH : Et les paysans d’aujourd’hui ?
ELRL : Ils sont gagnés ou ils ont gagné par la productivité…
NRH : « Les engrais sur les nitrates, dites-vous quelque part, disparition des papillons, des chenilles, des coccinelles… »
ELRL : C’est vrai qu’ils ont accompli un effort de productivité considérable. Ils ne font pas les 35 heures ! Simplement, on avait aux XVIIe et XVIIIe siècles une agriculture écologique qui avait sans doute ses inconvénients mais qui respectait l’environnement. L’apogée eut lieu vers 1850 : la France était alors cultivée comme un jardin.
NRH : Avant de nous quitter, revenons un instant au présent. Vous demeurez un observateur très attentif et souvent caustique de la vie politique française. Que vous a inspiré le « tremblement de terre » du 21 avril ?
ELRL : J’avais sur ce sujet développé ma pensée dans un article du Figaro Magazine. J’y soulignais que le vote Le Pen était solidement implanté désormais dans les trois grands blocs de la latinité en France, le Nord, la région « burgonde » (Rhône-Alpes) et le Midi occitan. Il est fortement minoritaire mais a aussi une influence dans toutes les régions développées. Ce qui me frappe aussi, c’est qu’il est en train d’attaquer les arrières de Juppé en descendant la Garonne, et ceux des nationalistes corses. M. Talamoni ferait bien de se méfier ! Le FN progresse aussi dans les minorités linguistiques : bons résultats en Alsace, en Flandre, en Savoie. Les Basques et les Bretons, en revanche, semblent plus imperméables à son programme. Quant à moi, je persiste à voter Chirac…
NRH : Pensez-vous que les difficultés d’assimilation des populations musulmanes pourront être aplanies ?
ELRL : Certes, avec les Italiens également, voici quelques générations, il y avait parfois des problèmes. Bien sûr, il ne faut pas désespérer, mais il semble aujourd’hui que ce soit beaucoup plus difficile. L’islam doit-il s’assimiler ? En ce sens, le grand livre sur la Méditerranée, plus encore que Braudel, c’est Pirenne. Par ailleurs, je suis en train de traduire Platter qui dit « Europa oder Christentum » (« l’Europe, autrement dit la Chrétienté »). On pourrait aussi dire « l’Europe autrement dit la post-Chrétienté », judéo-christianisme inclus.
NRH : C’est tout l’actuel problème de la candidature de la Turquie à l’Europe et au soutien que lui donnent les États-Unis pour éviter à tout jamais que l’Europe prenne une dimension identitaire.
ELRL : Il est certain que l’intégration des Turcs en Allemagne ou celle des Algériens en France pose un problème.
Propos recueillis par Patrick Jansen
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L’Algérie sous le régime de Vichy. Jacques Cantier
L’auteur présente un tableau nuancé d’une Algérie profondément maréchaliste, où l’adhésion aux thèmes de la Révolution nationale ne souffrent pas de la présence de l’occupant. Il minimise cependant l’effort de renaissance de l’armée d’Afrique et ne semble pas connaître le livre important du colonel Berteil sur l’Armée de Weygand (Albatros, 1975). En Algérie, la personne mythifiée du Maréchal est adulée, tant chez les Européens que les musulmans, nombreux dans les rangs de la Légion des Combattants.
Jacques Cantier a également une bonne connaissance des mouvements politiques, des organisations de jeunesse et des forces religieuses unanimement maréchalistes. Il analyse aussi l’abrogation du décret Crémieux (la dénaturalisation des juifs d’Algérie) et montre en 1942 la situation difficile de l’Algérie sur le plan alimentaire, dont le nationalisme algérien (le PPA messaliste d’ailleurs réprimé) profitera ultérieurement.
Le temps et les moyens ont manqué pour une vaste politique de réformes économiques préparée sous le proconsulat du général Weygand, qui n’est pas estompée. Dans son épilogue, l’auteur traite de l’Algérie après novembre 1942. On y relève certains parti-pris. Mais il est exact que c’est une certaine image de la France qui s’effondre après 1942. Si le « maréchalisme persiste » l’assassinat de Darlan, les luttes politiques entre de Gaulle et Giraud, la réapparition des communistes et des nationalistes algériens, l’anticolonialisme américain amorcent le drame futur de l’Algérie.
L’Algérie sous le régime de Vichy. Jacques Cantier, Odile Jacob, 418 p., 24,50 €
Hors-série n°1 (automne 2010). L’Afrique. Des colonies à l’indépendance.
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Elle écorne de la façon la plus divertissante vérités officielles et histoire pieuse. Le général de Lattre, par exemple, oublie en 1944 qu’il recevait Franco à Montpellier en 1941 et félicitait à Tunis les troupes de Syrie ayant refusé de rallier de Gaulle. L’auteur montre ainsi que la plupart de ceux qui entreront au service de l’homme de Londres en 1944 ou en 1958 venaient de Vichy, carrefour obligé (et oublié) pour la plupart de ceux qui ont compté.
Encore fallait-il retrouver les faits et restituer les couleurs véritables de l’époque. Alméras y excelle.
Vichy-Londres-Paris. Par Philippe Alméras, Dualpha, 260 p., 23 €
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