Entretien avec le recteur Jean-Pierre Poussou
Riche d’une longue et prestigieuse carrière universitaire, Jean-Pierre Poussou, professeur émérite à l’université Paris IV-Sorbonne, propose une réflexion stimulante sur le processus révolutionnaire dans l’histoire, en comparant l’Angleterre du XVIIe siècle, la France du XVIIIe et la Russie de 1917.
La Nouvelle Revue d’Histoire : Comment est née votre vocation d’historien ?
Jean-Pierre Poussou : Ce fut une vocation spontanée. Mes parents n’avaient pas fait d’études poussées (arrêt en seconde et orientation vers la vie active), et nous ne possédions que très peu de livres à la maison. J’étais pourtant tenaillé par une grande soif de lecture. J’ai su lire avant cinq ans, et je bénéficie de ce que l’on appelle la lecture rapide. Très tôt, j’ai aimé les romans historiques, Alexandre Dumas, Zevaco, Fenimore Cooper. L’oncle de ma mère avait une bibliothèque assez fournie. J’y piochais allègrement. Ces livres étaient ma fenêtre sur le monde. Mais, par la suite, mes goûts ont évolué : à mesure que j’avançais dans la connaissance de l’histoire, je me détournais des romans historiques pour lesquels je n’éprouve désormais plus guère d’intérêt.
NRH : Quel type de formation scolaire avez-vous reçu avant l’université ?
JPP : Je suis né dans un petit village, à Saint-Vite, près de Fumel, dans le Lot-et-Garonne. J’y ai fréquenté l’école primaire en classe unique. Puis, à l’âge de sept ans, j’ai été envoyé dans un collège religieux à Agen où je n’ai pas conservé le souvenir d’un seul bon professeur d’histoire, alors que j’ai eu en lettres et en espagnol des maîtres remarquables.
NRH : Mais, dans ce cas, comment s’est décidé le choix de vos futures études ?
JPP : La raison en est bien évidemment les lectures dont nous avons parlé. J’ai su très tôt que je voulais m’orienter vers l’histoire, sans pour autant imaginer alors en faire mon métier. Après mon baccalauréat, quand j’ai annoncé mon intention, mon père a fermement refusé : il souhaitait que je fasse des études de droit. Je me suis incliné. Mais, tout en préparant à l’université de Bordeaux une licence en droit, je m’étais également inscrit en licence d’histoire et j’ai mené les deux de front. L’histoire a fini par l’emporter et, malgré un passage par Sciences-Po Bordeaux, cela m’a conduit jusqu’à l’agrégation et l’enseignement que j’ai passionnément aimé, y compris dans le secondaire.
NRH : Durant vos études universitaires, avez-vous eu des maîtres qui ont particulièrement compté ?
JPP : J’ai eu la chance d’avoir en études médiévales deux très bons professeurs, Charles Higounet et Bernard Guillemain. Ils étaient fort différents. Le premier était un grand chercheur, alors que le second était un pédagogue né. Mais mes deux maîtres essentiels ont été en histoire contemporaine. D’abord François Crouzet, avec qui j’ai commencé mon diplôme d’études supérieures puis, après son départ à l’université de Lille, j’ai eu la chance d’avoir un autre grand professeur en la personne de Georges Dupeux. Celui-ci était un remarquable historien des idées politiques et, en même temps, un grand connaisseur des techniques d’histoire économique et des statistiques, notamment électorales.
NRH : Comment s’est décidé le choix de vos futures recherches ?
JPP : Mes premiers sujets de recherche sont venus de mon désir de m’enraciner dans mon pays natal. Mon sujet de mémoire portait sur l’histoire économique de l’arrondissement de Villeneuve-sur-Lot, en Lot-et-Garonne, de 1930 à 1959. J’ai donc pratiqué les sources contemporaines en effectuant des recherches non seulement aux Archives, mais aussi aux Chambres de Commerce et d’Agriculture, tout en recueillant une cinquantaine de témoignages d’acteurs économiques importants ce qui, à l’époque, pour un historien stricto sensu, n’était pas très fréquent dans l’université. J’en ai gardé un réel intérêt pour l’histoire contemporaine, mais la préparation de l’agrégation m’a fait découvrir le XVIIe siècle et la démographie historique.
Puis, lorsque François Crouzet a eu besoin d’aide pour son très beau Bordeaux au XVIIIe siècle, j’en suis venu au XVIIIe siècle et à l’étude de la croissance démographique de Bordeaux et de son attraction migratoire pour ma thèse de doctorat ès-lettres que François Crouzet a dirigée.
NRH : Après avoir soutenu votre thèse, comment s’est déroulée votre carrière ?
JPP : J’ai soutenu ma thèse en 1978. J’ai été élu l’année suivante à Bordeaux III à la succession de Charles Higounet à la chaire des Sciences auxiliaires de l’histoire. Puis, j’ai été élu à la Sorbonne en 1984. Je suis revenu en 1986 à Bordeaux où j’ai été nommé recteur. Mais, en 1989, Lionel Jospin, devenu ministre de l’Éducation nationale, a mis fin à mes fonctions. Je suis donc retourné à la Sorbonne où j’ai enseigné jusqu’en 2007. J’avais une chaire d’Histoire moderne mais, lorsque mon maître François Crouzet a pris sa retraite, j’ai demandé que cette chaire devienne « Histoire des mondes anglo-saxons XVIe-XIXe siècles ».
NRH : En prenant connaissance de vos très nombreux travaux, on découvre que vous avez étudié une grande diversité de sujets : Démographie historique et migrations, Histoire urbaine et histoire rurale des XVIe-XIXe siècles, Histoire du Canada, Histoire des îles Britanniques. Vous avez aussi dirigé des ouvrages collectifs très variés, allant des Sociétés urbaines au XVIIe siècle à L’influence française en Russie au XVIIIe siècle, ou aux Révoltes et révolutions de la fin du XVIIIe siècle. Encore n’est-ce là qu’une énumération très partielle. Vos champs d’étude sont donc d’une rare étendue. Quels sont leurs points communs ?
JPP : Tout simplement les cours d’agrégation. J’ai en effet préparé et enseigné vingt-six cours d’agrégation, sans cependant jamais abandonner mes domaines premiers, notamment l’histoire de Bordeaux et celle des migrations. Depuis trois ou quatre ans, j’ai repris des recherches sur la mobilité et les migrations dans une partie de l’Aquitaine (Lot-et-Garonne, Landes, Gironde), mais surtout pour les XIXe et XXe siècles, dans la mesure où mes très lourdes activités de directeur de revues et de collections universitaires me laissent du temps pour les archives !
NRH : Parmi vos nombreux travaux, l’Angleterre semble avoir tenu une grande place. Vous avez notamment consacré une passionnante étude à Cromwell et à la guerre civile anglaise (1). De quand date votre intérêt pour l’histoire anglaise ?
JPP : En 1970, s’est présentée une question d’agrégation sur l’Angleterre au XVIIe siècle. C’est à cette occasion que j’ai découvert plus amplement l’histoire de la révolution anglaise de 1640. Sur un certain nombre de points, j’ai pu constater que des comparaisons s’imposaient avec la Révolution française. Par ailleurs, François Crouzet m’avait fortement sensibilisé à l’histoire économique des îles Britanniques, notamment à l’époque de la révolution industrielle. Dans ce domaine, je me suis particulièrement intéressé à l’histoire urbaine et à celle des campagnes, mais aussi à l’Irlande et à l’Écosse.
NRH : Vos études montrent que vous avez un souci d’histoire comparé qui est relativement peu fréquent chez les historiens français. À quand remonte la tendance franco-centrée de l’historiographie française ?
JPP : Je vais vous raconter une anecdote. En 1789, le seul personnage qui se préoccupe vraiment de ce qui s’était passé en Angleterre en 1640, c’est Louis XVI. Il lisait très bien l’anglais. L’Histoire de l’Angleterre de Hume était l’un de ses livres de chevet. Et, selon les témoins du temps, on l’aurait entendu dire en 1789 : « Il ne faut surtout pas que l’on fasse comme Charles Ier » ! C’est dramatiquement cocasse. Pour répondre à votre question, François Furet, avec lequel j’avais d’anciennes relations d’amitié, avait conscience d’une faille de nos études historiques françaises en raison de leur caractère franco-centré. C’est l’une des raisons qui l’ont poussé à me demander de codiriger avec lui – de 1983 à 1986 – un séminaire des Hautes Études en Sciences Sociales qui portait sur la comparaison des deux révolutions.
En réalité, il y a eu trois révolutions comparables : celle de 1917 en Russie, celle 1789 en France et celle de 1640 en Angleterre. Elles posent trois destins royaux comparables par-delà les péripéties, et montrent des mécanismes absolument semblables.
NRH : Quelle explication peut-on donner au fait que la monarchie a pu être restaurée en Angleterre, alors qu’elle ne le fut ni en France et ni en Russie ?
JPP : En dépit de points communs, ces révolutions s’inscrivent dans des histoires très différentes. Dans la France de 1789 comme dans la Russie de 1917, on voit des projets réformateurs s’opposer à une monarchie qui résiste. C’est l’inverse qui se produit pour l’Angleterre de 1640. Le conflit est provoqué par les réformes royales en matière politique et religieuse, des réformes que refusent Pym, Cromwell et leurs partisans, soit parce qu’ils ne veulent pas d’un pouvoir royal trop fort, soit pour des raisons religieuses (action résolue des puritains). Ce sont des conservateurs. Ils veulent revenir à la situation antérieure, celle avant 1630, voire 1620. Ils veulent donc faire une révolution restauratrice. Ces curieux révolutionnaires ne veulent pas un changement de société, et n’imaginent pas d’autre régime que la monarchie.
NRH : N’y a-t-il pas également de grande différence entre ce que sont la noblesse française et la noblesse anglaise à la veille des deux révolutions ?
JPP : La noblesse anglaise a en effet une histoire bien différente de la noblesse française. Depuis la Grande Charte de 1215, le Parlement d’Angleterre est aux mains de la noblesse, la Chambre des communes étant composée essentiellement de membres de la gentry (petite noblesse) et la Chambre des lords représentant l’aristocratie. La noblesse anglaise a toujours participé au gouvernement du royaume selon la formule : King in Parliament, ce qui signifie que la plus haute autorité du royaume n’est pas le roi seul comme en France, mais le roi au sein de son Parlement. En France, la noblesse n’a jamais été associée au pouvoir de plein droit et elle l’a encore moins été depuis l’établissement de la monarchie absolue. En Angleterre, si le roi veut augmenter les impôts, il ne le ne peut pas, il doit obtenir l’accord du Parlement.
La noblesse anglaise est donc toujours au centre du processus de décision politique. Or, en plus du vote des lois civiles, Henri VIII lui a octroyé un pouvoir supplémentaire pour la définition de la politique religieuse et l’arrangement successoral. Par ce biais là, il a aussi conduit la noblesse anglaise à s’investir dans la définition de la politique extérieure du royaume. La noblesse française n’a jamais eu le quart de tels pouvoirs.
NRH : Une autre différence semble exister entre les deux révolutions. N’y a-t-il pas une part religieuse décisive dans la révolution anglaise de 1640 ?
JPP : La révolution de 1640 est en effet très largement religieuse. Charles Ier mène une nouvelle politique ecclésiastique qui est en rupture avec la progression du calvinisme en Angleterre depuis la Réforme d’ Henri VIII. Cette politique incite l’Église d’Angleterre à restaurer son pouvoir hiérarchique et à renouer avec les fastes de l’ancienne liturgie. Elle déclenche, dans les années 1625-1626 et suivantes, la colère des puritains et d’une grande partie de la noblesse.
Pour mieux comprendre l’ampleur de phénomène, il faut aussi se rappeler que, sous le règne d’Henri VIII, les biens de l’Église d’Angleterre avaient été distribués aux Lords et à la gentry. L’une des raisons des troubles des années 1630-1640 fut aussi la crainte éprouvée par la noblesse d’être dépossédée de ses biens par l’éventuelle restauration d’une Église d’Angleterre hiérarchisée, avec une liturgie, ce qui était assimilé au « papisme ».
NRH : Le portrait que vous faites de Cromwell dans le livre que vous lui avez consacré est loin des clichés habituels. D’où vient la légende noire de Cromwell ?
JPP : Cette légende a pris naissance sous la Restauration anglaise, après 1660. Elle a été forgée par les royalistes. Les Anglais avaient été profondément choqués par l’issue de la guerre civile. Ils avaient fait une révolution pour conserver leurs libertés politiques et religieuses ainsi que pour se libérer du poids excessif des impôts. Qu’ont-ils gagné avec le pouvoir dictatorial du Parlement puis de Cromwell ? Ils ont subi l’intolérance religieuse des puritains extrémistes, l’existence d’une armée permanente, la disparition des libertés ancestrales anglaises, et on leur a fait payer des impôts comme jamais auparavant. Tout cela a provoqué la détestation du régime de Cromwell.
Mais il existe une autre raison importante, c’est le traumatisme de l’exécution de Charles Ier. Elle a été vécue comme un sacrilège. Cela montre combien, pour les Anglais, la figure royale conservait une dimension religieuse et sacrée. En ajoutant que Cromwell a fait preuve, en Irlande, d’une réelle cruauté, on comprend fort bien l’aversion qu’il a suscitée.
NRH : Néanmoins vous insistez sur l’exceptionnel destin qui fut celui du Lord Protecteur.
JPP : Le destin de Cromwell est tout à fait hors norme. Il était issu d’une famille de la petite noblesse qui comptait parmi ses ancêtres Thomas Cromwell, le grand ministre d’Henri VIII. Tout prouve que ce sont ses convictions religieuses associées à un fort tempérament qui l’ont amené à jouer un rôle de premier plan. Son ascension fut tardive. Il n’était ni un grand orateur ni un homme d’assemblée. Il a fallu qu’éclate la guerre civile pour qu’il trouve l’occasion de manifester son dynamisme et ses qualités militaires. C’est sur ses propres deniers qu’il commence à lever une petite troupe dès 1641.
L’étonnant chez lui, c’est qu’au fil des événements il révèle un véritable génie militaire alors qu’il n’avait jamais fait la guerre et qu’il avait tout appris dans les livres. Ses qualités en font le grand vainqueur de la guerre civile. Sans lui, elle eut été perdue par le parti des parlementaires. Il a su former des troupes et les mener au combat victorieusement. Puis, de chef militaire, il est devenu chef d’État. À partir de ce moment, sa personnalité s’est élargie.
Cromwell se révèle alors beaucoup plus tolérant et compréhensif qu’on ne le pensait. Seulement, il est prisonnier de l’héritage de la guerre civile, des principes à maintenir, et de ses partisans, qu’il ne doit pas décevoir. Jusqu’après sa mort, son destin est resté digne d’un roman. Au moment de la restauration de Charles II, en 1660, à la demande des députés, le cercueil de Cromwell a été ouvert et son cadavre pendu en effigie pendant trois jours. Sa tête fut même exposée sur une pique au-dessus de la porte de Westminster Hall. Quel contraste avec les obsèques quasi royales qu’il avait reçues deux ans plus tôt, le 23 novembre 1658, plus de deux mois après sa mort !
NRH : Malgré les différences entre les révolutions de France et d’Angleterre à plus d’un siècle de distance, quels sont leurs points communs ?
JPP : On peut dire que la Révolution anglaise de 1640 annonce la Révolution française de 1789 et les révolutions russes de 1917. À chaque fois un pouvoir monarchique qui se voulait fort et autoritaire, au moins dans son principe, en arrive à ne plus pouvoir ni savoir gouverner.
NRH : Dans votre étude sur Réformes et révolutions, le cas de la France, vous insistez sur le rôle essentiel qui incombe à la personnalité de Louis XVI ?
JPP : L’épisode de Varennes me semble capital pour comprendre le caractère de Louis XVI. À Varennes, le roi pourrait monter à cheval, se placer au milieu de troupes fidèles et passer en force. Mais il n’est pas assuré que la berline avec la reine et les enfants puisse en faire autant. Il ne peut accepter l’idée de mettre en danger sa famille. De la sorte, il n’est plus à proprement parler un roi de France : il oublie que, dans le système français, seul le roi compte.
NRH : Comment expliquez-vous cette impuissance à agir de Louis XVI, alors qu’il n’était pourtant pas dénué d’intelligence ?
JPP : Le drame est qu’avant même1789, Louis XVI n’avait pas de projet politique et qu’il était dénué d’une pensée politique structurée. Lui-même a souvent avoué son inexpérience et montré ses incertitudes. Ce roi était tout à fait pénétré de l’ancienneté de la dynastie, de l’obligation de défendre l’État, de la nécessité de régler les problèmes de celui-ci. Mais, dans ce domaine précisément, il n’a jamais pu avoir une pensée claire et ferme. Définir une politique et s’y tenir lui étaient apparemment impossibles, justement parce qu’il était dépourvu de projet politique.
Tout au long de son règne, il accepta des idées ou des programmes qu’il essaya de faire siens, mais qu’il se révéla incapable de soutenir jusqu’à leur achèvement. Le règne est donc est une succession de projets de réformes entamés, puis abandonnés, jamais réalisés.
NRH : C’était pourtant un homme cultivé qui avait reçu une bonne éducation, quoique plus intellectuelle que pratique.
JPP : C’est un homme qui a en effet de grandes connaissances en sciences et en géographie. Il lit quotidiennement La Gazette de Hollande, il a annoté la moitié de sa bibliothèque qui contient six ou sept mille volumes. Il a une culture intellectuelle véritable. En politique étrangère, il est même remarquable. Très tôt, il prévoit ce que seront les conséquences stratégiques des guerres d’Amérique. Mais, en politique intérieure, il est dépourvu du moindre projet et de la vision de ce qui peut arriver.
NRH : Comme Charles Ier et Nicolas II, c’était un parfait gentilhomme, mais pas un roi. On peut se demander si le père de famille ne l’emportait pas sur le monarque ?
JPP : En effet. Mais, en dernière analyse, comment ne pas être frappé par l’échec successif des ministres réformateurs, Turgot, Necker, Calonne, Loménie de Brienne et de nouveau Necker. Des échecs qui annoncent la tournure prise par les États généraux. Tout cela ramène à l’incapacité politique du roi. Certes l’image négative de sa personnalité, qui a dominé pendant longtemps, n’est plus acceptable aujourd’hui. Mais le drame de Louis XVI a été que son époque ne fut ni paisible ni facile à gérer. Mais quand l’est-elle vraiment ? Il n’a jamais eu de volonté affirmée ni de ténacité. La succession de réformes que l’on n’achève jamais, dont on renvoie les acteurs, et que l’on annule, quitte à les voir resurgir plus tard, est accablante. Cette succession d’échecs dans les réformes a directement préparé les esprits à 1789. Ce sont les grands serviteurs de la monarchie qui ont eux-mêmes défendu la nécessité de réformes, qu’ils justifiaient et défendaient par une intense propagande. En ce sens, la monarchie elle-même a largement favorisé l’attente d’une révolution !
Cela souligne la responsabilité du roi dans les événements. En plus de son évident défaut de caractère, il faut le redire, Louis XVI n’a jamais eu de vrai projet en politique intérieure. Il n’a jamais adhéré qu’à un vague souci de faire le bonheur de ses peuples. Si l’on ne s’en tient pas à une vision de l’histoire régie par le jeu de forces profondes, la Révolution française a eu lieu en 1789, avant tout en raison du problème politique central qu’était la vacuité du pouvoir royal.
Ce n’est pas la Révolution qui a entraîné la dissolution du pouvoir royal, c’est l’absence de ce même pouvoir et sa dissolution qui ont entraîné la Révolution, comme l’avait déjà expliqué, en 1656, James Harrington, dans The Commonwealth of Oceana, à propos de la révolution de 1640.
Propos recueillis par Pauline Lecomte
Crédit photo : DR
Notes
- Jean-Pierre Poussou, Cromwell, la révolution d’Angleterre et la guerre civile, PUF, Que sais-je ? n°2708, 1993.
Repères biographiques
Jean-Pierre Poussou
Après une longue carrière universitaire, à Bordeaux puis à l’université Paris-Sorbonne (Institut de recherches sur les Civilisations de l’Occident moderne et Centre Roland-Mousnier), marqué par des fonctions administratives (recteur, puis président d’université), Jean-Pierre Poussou a publié un très grand nombre d’ouvrages et d’articles, notamment une Démographie historique, une thèse sur l’attraction migratoire de Bordeaux au XVIIIe siècle, un ouvrage sur la croissance des villes au XIXe siècle, un autre sur La Terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne (XVIIe-XVIIIe siècles). Il a par ailleurs dirigé un grand nombre d’ouvrages sur des sujets très divers. Il a codirigé, aux Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, la collection d’Histoire Maritime et celle du Centre Roland-Mousnier. Il est codirecteur de la revue d’Histoire maritime et d’Histoire-Économie et Société.
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