La Nouvelle Revue d'Histoire : "L'histoire à l'endroit". Fondée en 2002 par Dominique Venner et dirigée par Philippe Conrad.

Huntington avait été clairvoyant. Il avait compris que la mondialisation, c’est-à-dire le projet d’imposer à tous les peuples la civilisation américaine, loin de conduire à la paix, conduisait à la guerre, réveillant dans l’Islam sa propre ambition à l’universalité.

Éditorial et sommaire du n°13 (juillet-août 2004)

Éditorial et sommaire du n°13 (juillet-août 2004)

Une époque fascinante

Nous vivons une époque à la fois inquiétante et fascinante. Qu’elle soit inquiétante, chacun peut le percevoir d’une façon ou d’une autre dans les dégradations de la société ou diverses prévisions d’avenir. Mais pourquoi serait-elle fascinante ? Réponse : elle nous fait entrer dans une nouvelle histoire imprévue, différente de celle qu’avait inaugurée la « révolution de 1944 », sujet de notre dossier. Mais cela, on ne le sait pas encore.

Résumons. Voici une quinzaine d’années, à la fin de la guerre froide, la puissance américaine était devenue hégémonique en tout. La mondialisation semblait inéluctable. En 1989, un universitaire américain d’origine japonaise pouvait prédire la « fin de l’Histoire », conséquence du triomphe universel de l’économie de marché et du modèle américain (1). Mais peu après, une voix discordante se fit entendre. Samuel Huntington publia en 1993 dans la revue Foreign Affairs un article intitulé « The Clash of Civilizations », (« Le Choc des Civilisations ») bientôt transformé en livre. Que disait-il ? Il affirmait que la prétention américaine à imposer au monde son modèle de civilisation était utopique, immorale et dangereuse. Il prévoyait que, dans le monde nouveau ouvert par la mort du communisme, les conflits entre les puissances ne seraient plus idéologiques, économiques ou nationaux, mais civilisationnels(2). La grande parenthèse historique ouverte par la révolution de 1917 se refermait. Une nouvelle époque commençait, marquée par le réveil des peuples et des civilisations. Se plaçant quelque peu dans la filiation intellectuelle d’un Spengler, Huntington projetait sur l’avenir une vision différentialiste de l’histoire et de l’humanité passablement renversante. Mais il ne s’agissait après tout que d’une théorie.

Et voilà que, soudain, l’énorme violence spectaculaire du 11 septembre 2001, et ce qui s’en est suivi, ont fait de cette théorie une réalité incontournable. Entendons-nous bien. Condamner une telle violence, éprouver de la compassion pour les victimes, cela va sans dire, mais cela n’interdit pas pour autant de réfléchir à la portée de l’événement.

Venons-y. Du jour au lendemain, les États-Unis se sont mobilisés et, sur le mode brutal qui les caractérise, ils ont réagi à ce qu’ils ont ressenti comme un acte de guerre contre leur civilisation. Par contrecoup, un peu partout, les masses musulmanes ont été traversées par la révélation de leur propre opposition à la civilisation fondée jadis sur l’utopie biblique des Pilgrim Fathers (3). En Europe, l’éveil fut plus lent et volatile. Pourtant, devant la guerre américaine en Irak, l’opinion publique du noyau franco-allemand s’est peu à peu détachée de l’ancienne solidarité atlantique, percevant avec l’hyperpuissance des différences essentielles. En Asie, les grands cercles de civilisation, Chine, Inde ou Japon, ont été poussés à rechercher dans la multipolarité l’affirmation de leurs voies propres. Ainsi, confrontée à une nouvelle réalité historique, l’utopie du « village mondial » a volé en éclats, ayant procédé en quelque sorte à son autodestruction.

Huntington avait été clairvoyant. Il avait compris que la mondialisation, c’est-à-dire le projet d’imposer à tous les peuples la civilisation américaine, loin de conduire à la paix, conduisait à la guerre, réveillant dans l’Islam sa propre ambition à l’universalité. La confrontation entre deux messianismes agressifs, au contact dans des régions à risque, ne pouvait que conduire à l’explosion. Ce type de péril est faible dans le cas des civilisations asiatiques. Ni le confucianisme ni l’hindouisme ne sont des messianismes. Il en fut autrement pour l’Europe dans le passé. Elle a souvent justifié ses conquêtes par la prétendue universalité de sa civilisation. Pourtant, le retour à la part fondatrice de sa tradition, celle de l’esprit grec, pourrait la libérer de cette fatalité. Les Grecs n’ont été conquérants que d’eux-mêmes. Leur finalité était d’atteindre l’excellence pour chacun d’entre eux et pour leurs cités. Alexandre lui-même, qui fut à bien des égards dans son ambition démesurée la négation du mental grec, n’eut jamais pour ambition d’helléniser l’Orient, mais seulement de se l’approprier. On supporte à la rigueur le conquérant qui respecte vos croyances et vos coutumes, mais pas celui qui entend vous voler votre âme, même avec des discours doucereux.

Dominique Venner

Notes

  1. Article, suivi d’un livre, intitulé « La Fin de l’Histoire ? » publié par Francis Fukuyama dans la revue The National Interest durant l’été 1989.
  2. Pour une analyse critique de la thèse d’Huntington, voir le dossier de notre n°7 consacré au Choc des civilisations, notamment p. 27.
  3. On peut se reporter sur ce point à l’analyse de Philippe Alméras dans le dossier de notre n°2 consacré à l’empire américain, p. 46-48.
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