Que lire ? – La Nouvelle Revue d'Histoire L'histoire à l'endroit Sun, 13 Mar 2016 15:56:36 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.4.2 Dominique Venner, un cœur rebelle /2014/07/dominique-venner-un-coeur-rebelle/ /2014/07/dominique-venner-un-coeur-rebelle/#respond Tue, 01 Jul 2014 19:00:46 +0000 /?p=784 Les historiens écrivent pour parler des autres, c’est même leur raison d’être. Mais il leur arrive parfois d’avoir envie de parler d’eux-même et de Renan à Gaxotte, les exemples ne manquent pas. C’est ce qui s’est produit également avec Dominique Venner (1935-2013), lorsqu’aux abords de la soixantaine il publia ce Cœur rebelle qui réapparaît aujourd’hui dans une nouvelle édition (1). Augmentée d’une postface inédite écrite en 2008 et agrémentée d’une belle préface de Bruno de Cessole, c’est une initiative particulièrement heureuse, ce livre magnifique pouvant apparaître comme le chef-d’œuvre de l’auteur.

Affirmant cela, on ne veut nullement minimiser la vingtaine de grands livres historiques qu’il a laissés et dont plusieurs sont des œuvres capitales, ce que l’avenir ratifiera. Mais Le Cœur Rebelle, précieux par ce qu’il nous apprend sur l’auteur lui-même, sur l’historien et sur sa formation, est aussi et même d’abord une œuvre littéraire d’une valeur exceptionnelle. Venner écrivait naturellement bien, mais dans cette autobiographie partielle qui lui tenait à cœur, on sent qu’il a spécialement soigné l’écriture et c’est d’abord pour cela qu’il est permis de la considérer comme son chef-d’œuvre. L’historien Venner est aussi un véritable écrivain, ce qui ne va pas nécessairement de pair, surtout aujourd’hui (on évitera de citer des noms, et on ne voit guère que Jean Tulard comme contre-exemple). Là où on attendait un homme, on trouve d’abord un auteur, et ce n’est pas la moindre surprise de cet ouvrage magnifique.

Le Cœur Rebelle, Dominique Venner

Le Cœur Rebelle, Dominique Venner

Grâce à cet autoportrait, ceux qui n’avaient pas le privilège d’être des amis de l’auteur, apprendront à le mieux connaître. Qui était Dominique Venner ? À travers les métamorphoses successives de la vingtième à la quarantième année environ, une image très nette se dégage avec précision : il fut un soldat ou plutôt un guerrier. Que ce soit sur le terrain, en l’occurrence le djebel, ou sur le sol plus mouvant des idées, Venner poursuit un combat personnel, y trouvant sa vérité à lui, une vérité dont il n’était guère conscient au départ. Engagé dans l’armée à 17 ans pour fuir l’ennui d’une existence trop grise, il se porte volontaire pour l’Algérie, dès le début des « événements ». Chef de section, il gardera un souvenir émerveillé des patrouilles et des coups de main nocturnes dans les Aurès, et on peut penser (il le dit d’ailleurs à peu près lui-même) que ce furent les plus belles années de sa vie.

Rendu à la vie civile, voici d’autres combats qui commencent, politiques si l’on veut, mais aux franges d’une politique officielle qui ne peut que le rebuter violemment : Jeune Nation, OAS-Metro et prison à quoi ne pouvait échapper ce rebelle, à un pareil moment. Après la volte-face du général De Gaulle dans sa conduite des affaires algériennes, Venner, comme tous ceux qui avaient fait de l’Algérie française une question personnelle, se retrouve aux côtés des ultras, des insurgés, des révoltés… Cela devait même le conduire à un projet insensé d’attentat-suicide contre le Général au cœur de l’Élysée dont les circonstances empêchèrent la réalisation. Ayant risqué sa vie en Afrique des années durant, ce n’était pas aux yeux d’un garçon de 25 ans un bien grand sacrifice qu’il consentait à ce moment, alors qu’en Algérie des camarades tombaient tous les jours plus que jamais.

Ayant survécu, Venner connut la prison aux côtés des officiers du putsch et il profita de ces loisirs forcés pour se fabriquer la culture dont l’avait privé une existence agitée. Il mit les bouchées doubles et en sortit avec un solide bagage, très supérieur à ce que lui aurait apporté la Sorbonne ou Sciences Po. Ce bagage, il ne cessera de l’enrichir par d’interminables et immenses lectures (histoire, philosophie, sciences humaines, classiques et contemporains, français et étrangers) poursuivies jusqu’à la fin. Son incarcération terminée, il créa en 1963 Europe-Action qui, selon ses propres termes « fut à la fois une revue et un mouvement », afin de poursuivre une réflexion qui ne fût pas « détachée de l’action ». Il réunit ainsi un groupe dont firent partie Alain de Benoist et d’autres, moins un mouvement politique qu’une sorte de « fratrie combattante » jusqu’à ce que le désir de quelque chose de plus ambitieux l’entraîne sur une autre voie.

L’étape suivante sera l’Institut d’Études occidentales (1968-1971), nom trouvé par le plus inattendu des parrains qui en sera aussi le plus ferme soutien, Thierry Maulnier. La rencontre imprévue entre le jeune activiste assagi et le journaliste académicien (académique, pensaient beaucoup) du Figaro, voilà bien une des péripéties les plus singulières de la vie de Dominique Venner. Celui-ci avait su réveiller chez le grand aîné sexagénaire les ardeurs d’une jeunesse moins oubliée qu’il n’y pouvait paraître, celle du préfacier du Troisième Reich de Moeller van den Bruck, celle de l’impitoyable et fougueux analyste de Combat et de L’Insurgé, véritables brûlots du temps du Front populaire. Dans Le Cœur rebelle, il reste un admirable portrait de celui qui fut un temps le vrai maître qui lui avait manqué. Il lui doit finalement beaucoup sur le plan de l’enrichissement intellectuel, de la lucidité politique et de la sérénité retrouvée.

Avec le mûrissement nécessaire, l’académicien lui apportait aussi un réseau d’amitiés ou de relations sociales qui lui permettait de sortir de son isolement. Le prouve par exemple la liste des participants à la première Journée du Livre pour la Liberté organisée par l’IEO le 25 avril 1970 : à côté de philosophes, sociologues, économistes comme Jules Monnerot, Gabriel Marcel, Jean Fourastié et Thierry Maulnier lui-même, on y trouve des historiens comme Jacques Chastenet, Philippe Erlanger, Robert Aron, Pierre Grimal, des écrivains comme Pierre Gripari, Lucien Rebatet, Henry de Monfreid, Bernard George, Paul Sérant, des figures bien parisiennes de Marcel Achard à Jacques Chabannes, sans parler de rescapés de l’antigaullisme ancien ou récent, tels Jacques Isorni, le colonel Rémy, le capitaine Pierre Sergent, Maurice Bardèche, François Brigneau, Jean Bourdier, en tout une soixantaine d’auteurs aux antécédents parfois très différents et venus signer leurs livres en toute confraternité. La journée était placée sous la présidence de Thierry Maulnier, choix idéal pour garantir une telle coexistence pacifique.

Après quelques manifestations comme celle-là, Dominique Venner avait changé de statut social et de stature intellectuelle. Admis dans le sérail ou presque, il était prêt pour de nouvelles entreprises où la politique au sens étroit tiendrait de moins en moins de place et le combat des idées de plus en plus. Entre la fin de l’IEO en 1971 et la fondation en 1991 d’Enquête sur l’Histoire (devenue La Nouvelle Revue d’Histoire, à la suite d’une mauvaise querelle), il se passera une vingtaine d’années, au cours desquelles Venner se consacra à la publication de ses premiers livres sur les armes, la chasse puis l’histoire contemporaine. On y retrouvait l’influence de deux écrivains allemands parmi les favoris de l’excellent germaniste qu’était Venner, Ernst von Salomon et Ernst Jünger. À celui-ci, il consacrera en 2009 un de ses derniers livres, un des plus beaux aussi, tant l’admiration (que nous partagions en commun) pour cet illustre modèle l’avait inspiré. On trouve d’ailleurs dans le dernier volume de Soixante dix s’efface du maître de Wilflingen, le témoignage écrit de l’attention que l’aîné portait à son cadet français. Bien des choses les rapprochaient, le goût de la guerre remplacé ensuite par celui de la méditation, une rigidité à la fois morale et intellectuelle, d’ailleurs traduite par une raideur physique présente chez l’un comme chez l’autre et qui les préserva tous deux des affaissements de la vieillesse, ou encore le recours aux forêts (l’expression est de Pierre Boutang) qui unissait l’auteur du Cœur rebelle à celui du Traité du rebelle et du Cœur aventureux. Ces deux écrivains qui avaient tant aimé la guerre et avaient su la remplacer par autre chose, par l’élévation d’une pensée qui avait banni le nihilisme (ce serait le pire contresens à commettre à propos de l’un et de l’autre que d’en rechercher la moindre trace chez eux) et par une sagesse qui ne devait rien à la résignation, ces deux ex-soldats étaient tous deux des vaincus. Mais ces vaincus avaient surmonté leurs défaites (ce n’était pas le cas d’Ernst von Salomon) et ces pessimistes étaient le contraire d’âmes désespérées.

Toujours l’espoir resta inscrit au cœur de Venner, et d’ailleurs pessimiste il ne l’était plus depuis longtemps. Un jour où il me reprochait de l’être devenu plus que lui, ce que je voulais réfuter, il me rétorqua avec vivacité : « Croyez-vous que si je n’étais pas optimiste et ne croyais point à l’avenir, je continuerai à faire ce que je fais ? ». Cela visait son œuvre et d’abord sa belle revue, à quoi, je pense, il tenait plus que tout. Ce dialogue avait lieu un an à peine avant sa mort tragique. Tel qu’il m’en souvient et que je le rapporte aujourd’hui, il devrait couper court à quelques commentaires empreints d’une complète incompréhension et dont certains crurent abusivement pouvoir accompagner sa disparition volontaire. La relecture de ce si beau Cœur rebelle en fournit la parfaite démonstration, et il faudrait être volontairement aveugle pour ne pas le comprendre.

On conseillera à chacun de se livrer à cet exercice si tonique, et pour finir de méditer la phrase magnifique qui en livre le sens profond : « Il n’y a que la mort, parfois, pour donner un sens à une vie. » Peu de vies ont trouvé aussi bien le leur, un sens qui n’appartient qu’à lui, que celle de Dominique Venner.

Philippe d’Hugues

Notes

  1. Dominique Venner, Le Cœur rebelle, Pierre-Guillaume de Roux, 240 p., 22 €

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Tannenberg. 15 juillet 1410 /2013/01/tannenberg-15-juillet-1410/ /2013/01/tannenberg-15-juillet-1410/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:10:07 +0000 /?p=939
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°64, janvier-février 2013. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

La bataille de Tannenberg (Grunwald pour les Polonais) est entrée avec la force d’un mythe dans la mémoire européenne.

C’est là que fut livrée en 1410 une bataille catastrophique pour l’Ordre teutonique qui avait colonisé la Prusse orientale et la Courlande depuis le XIIIe siècle. Dans la même région, cinq siècles plus tard, le 1er septembre 1914, le général Hindenburg encercla et écrasa la 1ère armée russe (Samsonov) et mit en déroute la 2ème armée (Rennenkampf) qui auraient dû marcher victorieusement jusqu’à Berlin. Cette deuxième bataille de Tannenberg fut célébrée en Allemagne comme une revanche historique du monde germanique sur le monde slave. À l’inverse, la première bataille, celle de 1410, est devenu l’un des mythes fondateurs de la Pologne, même si, depuis peu, prévaut un apaisement du conflit séculaire entre Germains et Slaves.

Tannenberg. 15 juillet 1410

Tannenberg. 15 juillet 1410

Pour des raisons évidentes tenant à la richesse des archives et des récits, la bataille de 1914 est connue avec une précision qui fait défaut pour 1410. Pour cette raison, il faut saluer le travail exemplaire de reconstitution et de discussion des sources réalisé par Sylvain Gouguenheim. Médiéviste réputé, professeur d’histoire médiévale à l’ENS-LHS de Lyon, auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont Les Chevaliers Teutoniques (2007), Aristote au Mont Saint-Michel (2008), La Réforme grégorienne (2010), jamais il ne s’abandonne aux facilités d’un récit d’imagination. En plusieurs chapitres lumineux, il décrit la situation conflictuelle de 1410 qui oppose la puissance de l’Ordre teutonique, modèle d’État « moderne » colonisateur et militaire, à un pouvoir féodal s’étendant sur la Pologne et la grande Lituanie de l’époque. Pouvoir dominé par la haute personnalité du roi Jagellon, né païen, et devenu chrétien pour des raisons éminemment politiques. Cette conversion intéressée avait retiré aux Teutoniques leur principale justification politico-religieuse, qui était la conversion forcée des « païens ». Gouguenheim examine les sources d’époque pour en extraire les éléments d’un récit cohérent. Celui d’une défaite qui doit beaucoup à la ruse déployée par Jagellon face aux charges fougueuses des Teutoniques au cours desquelles périt leur grand maître, Ulrich de Jungingen, ainsi qu’un grand nombre de ses chevaliers. Très affaibli par cette défaite, l’Ordre teutonique ne disparut pas pour autant (1). Mais c’en était fini de sa suprématie et de sa réputation d’invincibilité.

Dominique Venner

Notes

  1. Nous avons évoqué la survie de l’Ordre et sa future mutation dans le n°61 (juillet-août 2012) de La NRH consacré à la Prusse.

À propos de

Tannenberg. 15 juillet 1410. Par Sylvain Gouguenheim, Tallandier, 263 p., index, cartes, 18,90 €

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La Russie, puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine /2013/01/la-russie-puissance-deurasie-histoire-geopolitique-des-origines-a-poutine/ /2013/01/la-russie-puissance-deurasie-histoire-geopolitique-des-origines-a-poutine/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:05:04 +0000 /?p=936
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°64, janvier-février 2013. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

La « question russe » constitue un point de passage obligé de toute réflexion géopolitique et les travaux portant sur ce sujet sont nombreux et souvent excellents.

Mais le lecteur identifie rapidement, dans le livre d’Arnaud Leclercq, une étude originale qui se déploie à l’écart des sentiers battus. Géographes, stratèges ou économistes ont cherché depuis 1991 à éclairer l’avenir de la nouvelle Russie, mais c’est le plus souvent pour s’interroger sur son rapport à l’Occident et sur le risque, voire la menace, qu’elle pourrait représenter pour lui. L’échec du roll back appelé de ses vœux par Z. Brzezinski et le réveil incarné par Vladimir Poutine en un moment où la vision occidentale du monde, jusque-là hégémonique, apparaît sérieusement remise en cause.

Investi d’importantes responsabilités dans le domaine économique et financier, familier depuis plus de vingt ans de la Russie, de l’Ukraine et de l’Asie centrale, l’auteur, formé à HEC et à Harvard, aurait pu se contenter de l’immédiateté qu’impliquent ses activités professionnelles mais il a, de plus, soutenu à la Sorbonne une thèse de doctorat qui a fourni la matière de son ouvrage. L’approche géopolitique qu’il nous propose s’appuie sur une érudition historique impressionnante, qui lui permet de replacer dans la longue durée la plupart des problématiques qui commandent aujourd’hui la nouvelle métamorphose russe.

On retiendra surtout que l’auteur a su comprendre et intégrer ce qui fait la spécificité de la Russie, la représentation que les Russes se font du monde qui les entoure et la conscience qu’ils ont du rôle qui leur revient sur le plan international en ce début du XXIe siècle. Au moment où la grande presse occidentale ne recule devant aucune caricature pour rendre compte de l’actualité russe, la lecture du livre d’Arnaud Leclercq constituera, pour tout esprit soucieux d’impartialité, un précieux antidote.

Philippe Conrad

À propos de

La Russie, puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine. Par Arnaud Leclercq, Ellipses, 408 p., 24,40 €

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Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès /2013/01/le-complexe-dorphee-la-gauche-les-gens-ordinaires-et-la-religion-du-progres/ /2013/01/le-complexe-dorphee-la-gauche-les-gens-ordinaires-et-la-religion-du-progres/#respond Tue, 01 Jan 2013 11:00:03 +0000 /?p=932
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°64, janvier-février 2013. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Auteur de plusieurs essais à contre-courant, disciple de George Orwell et des socialistes français de 1834, Jean-Claude Michéa décrit l’étonnante alliance qui s’est peu à peu formée au-delà des années 1980 entre l’intelligentsia de gauche et le capitalisme mondialisé.

Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès

Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès

Cette convergence, difficilement imaginable trente ans plus tôt, en pleine guerre froide, avait déjà été étudiée de façon précoce par la philosophe Flora Montcorbier (Le Communisme de marché. De l’utopie marxiste à l’utopie mondialiste, L’Âge d’Homme, 2000). Ce phénomène n’avait pas échappé non plus à La Nouvelle Revue d’Histoire qui l’avait analysé dans son n° 44 (septembre-octobre 2009) à l’occasion d’un article intitulé Violence et “doux commerce” (1).

La description foisonnante faite par Michéa commence par une réflexion qui justifie le titre un peu mystérieux de son essai. Ce titre se rapporte au mythe d’Orphée qu’il faut rappeler. Descendu au royaume des morts pour retrouver sa jeune épouse, la belle Eurydice, mordue par un serpent, Orphée parvient à convaincre Hadès de la laisser repartir avec lui. À une condition toutefois. Jamais Orphée ne devra « tourner ses regards en arrière  ». Bien entendu, au moment où ils vont franchir la limite imposée par Hadès, Orphée ne peut s’empêcher de se retourner vers sa bien-aimée, perdant celle-ci pour toujours… S’appuyant sur ce mythe conté par Ovide, à la façon de Freud avec Œdipe, Michéa désigne par le « complexe d’Orphée » le faisceau de postures qui définit depuis deux siècles l’imaginaire d’une gauche adoratrice du Progrès. « Semblable au pauvre Orphée, l’homme de gauche est en effet condamné à gravir le sentier escarpé du “Progrès”, censé nous éloigner, chaque jour un peu plus, du monde infernal de la tradition et de l’enracinement, sans jamais s’autoriser le moindre regard en arrière  ». Inutile de faire de gros efforts pour comprendre que ce parti pris de l’intelligentsia rejoint celui du capitalisme mondialiste. Ils ont en commun l’adoration du « Progrès » et le rejet de tout enracinement. Ils communient également dans la religion de l’Humanité, du cache-sexe humanitaire, du nomadisme et du métissage. Parmi une moisson d’autre faits révélateurs, Michéa rappelle qu’au début de l’année 2011, « on a pu voir coup sur coup Christine Lagarde, Laurence Parisot et Jean-François Copé (autrement dit, les véritables gardiens du temple libéral) venir discrètement reprocher au ministre de l’Intérieur [de l’époque] d’avoir joué avec le feu et lui rappeler fermement “que ses déclarations sur la diminution de l’immigration ne tenaient pas debout d’un point de vue économique” [souligné]. Que si, par conséquent, de tels propos improvisés venaient à être pris à la lettre par l’électorat populaire, on risquerait de compromettre les bases mêmes d’un économie capitaliste compétitive  » (Le Canard enchaîné, 13 avril 2011).

Cette question était devenue si évidente pour la survie du capitalisme globalisé, que, dès le 17 avril 2011, ainsi que le note Michéa, Le Monde offrait une page entière à Laurence Parisot (présidente du Medef) pour lui permettre de lancer un appel à « rester un pays ouvert, qui tire profit du métissage ». Est-il nécessaire d’en dire plus ? Oui, naturellement, et Michéa ne s’en prive pas. Chacun pourra donc se reporter à la masse de faits et de réflexions de son livre qui fait toute sa place au rôle de la police de la pensée.

Dominique Venner

Notes

  1. Réflexion développée dans mon livre Le Choc de l’Histoire (Via Romana, 2011).

À propos de

Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès. Par Jean-Claude Michéa, Climats, 358 p., 20,30 €

Photo : Orphée ramenant Eurydice des Enfers, Jean-Baptiste Corot (1861). DR

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La Fin. Allemagne 1944-1945 /2012/11/la-fin-allemagne-1944-1945/ /2012/11/la-fin-allemagne-1944-1945/#respond Thu, 01 Nov 2012 11:00:01 +0000 /?p=1075
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°63, novembre-décembre 2012. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Avant tout, une question impertinente pour réfléchir un peu, ce à quoi nous invite ce livre consacré à une grande énigme historique.

Pourquoi certaines résistances extrêmes, contraires à toute raison, celle, par exemple, du général de Gaulle après la défaite écrasante de juin 1940, sont-elles admirables et d’autres exécrables ? La réponse tient pour une large part aux résultats. Le téméraire pari de 1940 a été couronné de succès, sans d’ailleurs que le Général y soit pour rien. Ce n’est pas lui qui a gagné la guerre, mais les puissances auxquelles il avait arrimé ses espérances (Grande-Bretagne, USA, URSS). Très longtemps, cependant, en dépit d’échecs répétés, il lui a fallu croire ou « faire comme si », suivant l’une de ses maximes favorites.

La Fin. Allemagne 1944-1945

La Fin. Allemagne 1944-1945

C’est à cela que je songeais, de façon malséante, en lisant l’ouvrage richement documenté de Ian Kershaw. Cet historien britannique fort compétent s’interroge en effet à juste titre sur les raisons peu raisonnables pour lesquelles l’Allemagne, vaincue militairement depuis longtemps déjà, continua de tenir et de combattre en 1945 jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à son écrasement absolu et au suicide d’Hitler dans les ruines de sa capitale et de ses illusions. Ayant tout examiné, passé en revue l’héroïsme du peuple allemand, les qualités de son armée et de ses généraux, l’action mobilisatrice et contraignante du parti, ayant rejeté comme cause déterminante l’exigence extrême d’une « capitulation sans condition » imposée par Roosevelt depuis janvier 1943 (conférence de Casablanca), l’auteur en vient à conclure que la résistance incroyable de l’Allemagne s’explique principalement par la volonté intraitable de son Führer et par un pouvoir charismatique devant lequel tout pliait.

Kershaw a certainement raison d’invoquer cette puissance de sidération dont on a maints témoignages. On comprend qu’au-delà de mauvaises raisons, une telle personnalité continue d’exercer une fascination à laquelle le général de Gaulle lui-même n’était pas insensible, comme le suggère un passage connu de ses Mémoires de Guerre. Les grands fauves savent se reconnaître entre eux.

Dominique Venner

À propos de

La Fin. Allemagne 1944-1945. Par Ian Kershaw, Seuil, 668 p., 26 €

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Histoire et origines de l’islam /2012/09/histoire-et-origines-de-lislam/ /2012/09/histoire-et-origines-de-lislam/#respond Sat, 01 Sep 2012 11:05:52 +0000 /?p=1087
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°62, septembre-octobre 2012. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Au moment où l’islam semble avoir acquis un dynamisme irrésistible, on peut se féliciter de la publication de cette imposante synthèse. Le public cultivé et curieux trouvera dans cet ouvrage, réalisé par une quinzaine d’éminents spécialistes, toutes les réponses aux questions concernant les données historiques permettant d’analyser et de comprendre la nouvelle donne géopolitique mondiale née du réveil islamique.

Une telle entreprise paraît plus que jamais nécessaire pour retracer l’histoire des débuts de la religion musulmane, demeurée prisonnière jusqu’à maintenant d’un récit fondateur élaboré à Bagdad un siècle et demi après la prédication de Mahomet. Les auteurs des Débuts du monde musulman abordent la question des mythes fondateurs, ô combien sensible, pour les croyants concernés. Ils commencent par un tableau de l’Orient au début du VIIe siècle, dessinant ainsi la toile de fond sur laquelle va intervenir la prédication de Mahomet. Les caractéristiques de l’Arabie préislamique, la rivalité entre Byzantins et Perses sassanides, les places respectives des diverses communautés religieuses, juive, chrétienne, mazdéenne et manichéenne sont successivement abordées.

Histoire et origines de l’islam

Histoire et origines de l’islam

Elles permettent de mieux évaluer les conditions qui ont commandé les succès religieux et militaires de la communauté réunie autour du prophète. Sur la rupture entre les partisans d’Ali, gendre de Mahomet, et ceux des Omeyyades installés à Damas, Claude Gilliot apporte des informations précieuses en analysant les représentations arabo-musulmanes des premières fractures religieuses et politiques qui ont donné naissance au chiisme. L’exposé de l’histoire des califats omeyyade de Damas, abbasside de Bagdad, omeyyade de fatimide et fatimide du Caire permettent de découvrir et de comprendre combien les rivalités de puissance qui ont opposé ces différents pouvoirs politiques ont pu engendrer les grandes fractures géopolitiques qui ont déterminé sur le long terme l’évolution du monde arabo-musulman.

Outre l’approche événementielle, les auteurs font la place nécessaire aux différents aspects civilisationnels, dans le domaine économique mais aussi culturel ou religieux. Évoquant « une culture nouvelle fondée sur des héritages anciens  », les auteurs distinguent entre la part proprement islamique de la civilisation musulmane à son apogée et les éléments plus anciens qui ont contribué – selon les pays concernés, l’ancien espace hellénisé et romanisé d’une part, le domaine perse de l’autre – à la genèse d’une science, d’une médecine, d’une philosophie ou d’un art originaux.

Bien d’autres aspects sont encore évoqués. Dans un chapitre consacré au « débat contemporain sur l’islam des origines », Claude Gilliot présente un tableau très complet de l’évolution de l’historiographie relative au prophète et à la naissance de la nouvelle religion. Par la densité de ses informations et la rigueur de ses analyses, cet ouvrage constitue un outil indispensable pour découvrir de manière approfondie un monde islamique trop souvent méconnu en Occident.

Philippe Conrad

À propos de

Les débuts du monde musulman (VIIe-Xe siècles). De Muhammad aux dynasties autonomes. Dir. Thierry Bianquis, Pierre Guichard et Mathieu Tillier, PUF, coll. Nouvelle Clio, 704 p., 50 €

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De Gaulle et l’Algérie française /2012/07/de-gaulle-et-lalgerie-francaise/ /2012/07/de-gaulle-et-lalgerie-francaise/#respond Sun, 01 Jul 2012 11:00:14 +0000 /?p=1189
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°61, juillet-août 2012. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Cet ouvrage, initialement publié en 1995, fait l’objet d’une nouvelle édition complétée en format de poche à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et de la fin de la guerre en juillet 1962.

Michèle Cointet, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Tours, ne craint pas d’aborder des sujets difficiles qui soulèvent toujours des polémiques. Dans le cadre d’un grand entretien recueilli par Pauline Lecomte (La NRH n°57), nous avions eu l’occasion d’évoquer avec elle son itinéraire d’historienne et notamment sa Nouvelle Histoire de Vichy publiée chez Perrin en 2011.

De Gaulle et l’Algérie française. Par Michèle Cointet

De Gaulle et l’Algérie française. Par Michèle Cointet

De Gaulle et l’Algérie française est un ouvrage de synthèse rédigé avec un évident souci de liberté. L’auteur retrace et explique les étapes ayant conduit le général de Gaulle, porté au pouvoir en 1958 pour conserver l’Algérie française, à liquider cette même Algérie au seul profit du FLN algérien en juillet 1962. On se souvient du « Je vous ai compris ! » lancé à l’énorme foule d’Alger, le 4 juin 1958, lors de son premier voyage. Y fait pendant le propos excédé, méprisant et cruel du Général en 1962 à des ministres qui s’inquiétaient (exceptionnellement) des souffrances qu’allaient endurer les Européens d’Algérie chassés de chez eux sans protection ni soutien de la France : « Eh bien, ils souffriront ! »

Rarement un chef d’État a montré autant de froide indifférence pour le sort de compatriotes dont il avait la charge. Il est vrai, et Michèle Cointet le rappelle, dans son action publique, de Gaulle pouvait être le plus froid des monstres froids et, depuis ses séjours à Alger en 1943-1944 à la tête du CFLN (après avoir évincé le général Giraud), il avait conçu pour les Français d’Algérie une aversion méprisante, voyant en eux des « pétainistes », ce qui était bien la pire insulte dans sa bouche.

Michèle Cointet admet qu’en 1958 (ne parlons pas de la répression brutale des soulèvements de Sétif ordonnés par de Gaulle en mai 1945), la position du général n’était nullement arrêtée. En fait, il a navigué à vue, disant à ses interlocuteurs ce que ceux-ci voulaient entendre, ce qui eut pour résultat que les plus engagés se sont considérés à juste titre comme trahis, à commencer par des gaullistes comme Jacques Soustelle, des résistants comme Georges Bidault, des soldats comme Salan, Challe ou Denoix de Saint-Marc.

On ne peut retracer ici les années dramatiques que rappelle Michèle Cointet avec un grand souci de modération. Elle se garde de porter des jugements tranchés, mais les faits parlent d’eux-mêmes. Elle rappelle notamment les ordre infâmes donnés au militaires en 1962 par le ministre Louis Joxe (un diplomate si charmant) de jeter à la mer les harkis qui tentaient de fuir les massacres, et l’ordre aussi de sanctionner les officiers qui faciliteraient le sauvetage de ces malheureux. S’il est un exemple de crime contre l’humanité, c’est bien celui-là.

Elle rappelle enfin que rien n’avait été prévu pour venir en aide et héberger en France les centaines de milliers de Français d’Algérie contraints de fuir leur terre sous la menace des massacres qui se multipliaient depuis les accords d’Évian de mars 1962. Contrairement à ce qu’avance la dernière ligne du livre, on peut penser que «  les collectivités nationales ne survivent pas à ce prix ». Elles peuvent même s’y engloutir.

Dominique Venner

À propos de

De Gaulle et l’Algérie française. Par Michèle Cointet, Perrin Tempus, 425 p., 10,50 €

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Dictionnaire amoureux de Napoléon /2012/06/dictionnaire-amoureux-de-napoleon/ /2012/06/dictionnaire-amoureux-de-napoleon/#respond Fri, 01 Jun 2012 11:00:40 +0000 /?p=1187
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°60, mai-juin 2012. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Membre actif de l’Institut, savantissime historien de la Révolution et de Napoléon, mais également cinéphile incollable et connaisseur imbattable de la littérature policière, Jean Tulard publie un Dictionnaire amoureux de Napoléon dans lequel il parvient à faire redécouvrir son personnage d’un œil neuf, avec un entrain frisant l’enthousiasme.

Je crois avoir lu à peu près tout ce que Jean Tulard a écrit sur Napoléon. Eh bien, je confesse avoir dévoré son Dictionnaire amoureux comme on le fait pour un sujet neuf servi par une écriture vivante. Pour s’en convaincre, je conseille au lecteur d’aller droit à l’entrée Mémorial de Sainte-Hélène. Il y trouvera le portrait le plus synthétique du grand homme, écrit sur un fond d’érudition immense qui ne montre jamais son nez. Lisons : « En 1823, paraît le livre qui va fixer à jamais la Légende de Sainte-Hélène. Une légende, certes retouchée par les témoignages qui suivront […] mais ne modifieront pas l’image de l’illustre proscrit donnée dans cet ouvrage. Si l’on devait lire qu’un livre, ce serait celui-là, même s’il appelle des réserves de la part des historiens. » Suivent neuf pages étincelantes qui campent les conditions d’écriture des Mémoires rédigées par le comte de Las Cases. Ancien officier dans la marine royale, rallié à Napoléon en 1806, chambellan de l’Empereur en 1809, son trait de génie après Waterloo fut d’offrir ses services à Napoléon quand tout le monde abandonnait le vaincu.

Dictionnaire amoureux de Napoléon

Dictionnaire amoureux de Napoléon

Courtisan discret, il va devenir le secrétaire idéal à qui Napoléon dicte ses souvenirs, s’abandonnant à des confidences pieusement recueillies. Une fois son livre bien ébauché, Las Cases s’arrange pour revenir en France et bientôt le publier. Livre inégalé, selon Tulard. D’abord récit de la captivité à Sainte-Hélène, qui fait du grand homme un martyr. Il soulèvera l’émotion du public en 1823, deux ans après la mort de Napoléon. L’Empereur s’y raconte depuis la Corse jusqu’à Waterloo. Une épopée avec ses héros et ses traîtres, ses figures de femmes, ses batailles restituées. Mais le Mémorial ne se rapporte pas qu’au passé, il est destiné à l’avenir. Il fixe l’image d’un Napoléon champion des idées de 1789. Un coup de génie ! Oublié le tyran en faveur du défenseur des idées libérales. On mesure l’impact dans la France de Charles X ! Voici le conquérant de l’Europe, de l’Espagne et de la Russie métamorphosé en chantre des nationalités… Le Mémorial fut sa dernière bataille, « et la plus belle », souligne Jean Tulard.

Si je me suis attardé sur cet article parmi les quelque 200 qu’offre ce Dictionnaire amoureux (parmi lesquels : Aigle, Attentats, Austerlitz, Balzac, Beethoven, Bérézina, Berthier, Brumaire, Cambronne, Caroline Bonaparte, Cent-Jours, Cheval, Cinéma, Clausewitz, et tous les autres), c’est qu’il prouve l’art de Tulard. Ce grand historien sait tout et se souvient de tout, de la page de Tolstoï sur Austerlitz (Guerre et Paix) aux interprétations tendancieuses de certains historiens. Et puis, cette remarque (p. 363) sur l’oubli de Napoléon (et d’autres) dans les nouveaux manuels d’histoire. Si, devant les noms de victoires et de maréchaux, les Parisiens venaient à en ignorer le sens, ils « deviendraient comme ces fellahs vivant à l’ombre des ruines de Karnak ou de Thèbes, qui ignoraient tout de ces monuments, faute de lire les hiéroglyphes ».

Simultanément, Jean Tulard publie un livre d’entretiens avec Yves Bruley, Détective de l’histoire (Écriture, 330 p., 19,95 €). Également, sous sa direction, un magnifique ouvrages illustré et relié toile, La berline de Napoléon. Le mystère du butin de Waterloo (Albin Michel, 312 p., 40 €).

Dominique Venner

À propos de

Dictionnaire amoureux de Napoléon. Par Jean Tulard, Plon, 576 p., 24 €

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Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire /2012/03/jeanne-darc-histoire-et-dictionnaire/ /2012/03/jeanne-darc-histoire-et-dictionnaire/#respond Thu, 01 Mar 2012 11:00:25 +0000 /?p=1181
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°59, mars-avril 2012. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Il n’y a pas d’histoire plus connue, il n’y en a pas de plus mystérieuse et de plus admirable.

La trajectoire météorique de Jeanne d’Arc n’a duré que deux ans. Elle arrive à Chinon en mars 1929. Elle est brûlée à Rouen le 30 mai 1431. Entre-temps, elle s’est faite accepter par le méfiant Charles VII et ses rudes capitaines, elle a libéré Orléans (8 mai 1429), puis elle a fait couronner Charles VII à Reims (17 juillet 1429). Contre la volonté du roi qui cherche ensuite une conciliation avec le duc de Bourgogne, elle a continué de batailler. Dès lors, la Providence semble l’abandonner.

Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire

Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire

Elle est capturée par les Bourguignons devant Compiègne le 23 mai 1430. Faute d’être secourue par son roi qui refuse de payer la rançon exigée par ses ravisseurs, elle est livrée aux Anglais. Eux ont payé. Ils la feront condamner pour sorcellerie par un tribunal d’Église français présidé par l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon. Les minutes de ce procès révèlent chez Jeanne (19 ans) un incroyable tempérament mystique et insolent.

Pour le 600e anniversaire de la naissance de l’héroïne (1412), la collection Bouquins publie un ouvrage de poids. Dirigé par le grand médiéviste Philippe Contamine, assisté de deux bons connaisseurs de la période. Ce volume comporte une ample relation historique, puis un riche dictionnaire critique.

On sait que l’épopée de Jeanne d’Arc se place à la fin de l’interminable guerre de Cent Ans, commencée le 26 août 1346 par le désastre de Crécy. En ce temps-là, le roi d’Angleterre Édouard III, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère, revendiquait le trône de France. Les trois fils de Philippe le Bel étant morts sans descendance mâle, les barons français désignèrent en 1328 un simple neveu de Philippe le Bel, le futur Philippe VI de Valois qui parlait français.

Après Crécy et maints rebondissements, coupés de trêves, le conflit reprit au début du XVe siècle quand le roi d’Angleterre Henri V Lancastre revendiqua les droits de ses prédécesseurs sur la couronne de France. Après avoir débarqué en Normandie, ce prince écrasa l’armée de Charles VI dans la clairière d’Azincourt le 25 octobre 1415.

Le désastre d’Azincourt réveilla des conflits internes provoqués par la folie de Charles VI. Deux partis allaient se former, les « Bourguignons », partisans du duc de Bourgogne, et les « Armagnacs », partisans du dauphin Charles (futur Charles VII).
À la suite de sanglantes péripéties, Philippe de Bourgogne décida de faire alliance avec Henri V Lancastre. Alliance qui aboutit en 1420 au fameux traité de Troyes. Charles VI accordait sa fille Catherine de Valois à Henri V d’Angleterre, dont il faisait son héritier. Par ce même traité, il déshéritait son fils, le dauphin Charles (futur Charles VII), que sa propre mère, Isabeau de Bavière, disait le fruit d’un adultère. Le dauphin refusa de reconnaître le traité de Troyes. À la mort de son père en 1422, soutenu par les Armagnacs, il ralluma la guerre contre les Anglais et les Bourguignons depuis le sud de la Loire. Néanmoins, le « petit roi » sans couronne était rongé par le doute.

C’est là que nous allons retrouver Jeanne d’Arc. Le principal atout du « petit roi » était une femme exceptionnelle trop oubliée par les historiens, Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, comtesse de Provence, reine de Sicile. Neuf ans plus tôt, en 1413, elle avait obtenu de fiancer sa fille, Marie d’Anjou, au dauphin (âgé de dix ans). Elle abrita l’enfant royal dans ses châteaux angevins et l’éleva comme une vraie mère. En faveur de ce gendre, Yolande tissa un vaste réseau d’intelligences. Ayant ouï parler sur ses terres de Lorraine d’une certaine pucelle qui se disait mandatée par Dieu pour sauver le royaume de France, Yolande d’Aragon s’informa puis soutint de tout son pouvoir l’aventure naissante de l’exceptionnelle Jeanne d’Arc, tant que l’action de celle-ci coïncida avec ses propres desseins, c’est-à-dire jusqu’à Reims. Livrée ensuite à la solitude et à ses ennemis, Jeanne allait pouvoir révéler son héroïque grandeur.

Dominique Venner

À propos de

Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire. Par Philippe Contamine, Olivier Bouzy, Xavier Hélary, Robert Laffont Bouquins, 1214 p., index, 32 €

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Taine, une critique conservatrice de l’Ancien Régime /2012/01/une-critique-conservatrice-de-lancien-regime/ /2012/01/une-critique-conservatrice-de-lancien-regime/#respond Mon, 02 Jan 2012 11:00:07 +0000 /?p=1175
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°58, janvier-février 2012. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Adversaire tardif de la Révolution, Hippolyte Taine (1828-1893) était le contraire d’un contre-révolutionnaire. Il était avant tout un esprit libre et d’une infinie curiosité. Philosophe de formation, historien comparatiste par vocation, Taine était attentif aux apports nouveaux de la sociologie, de la psychologie.

Jean-Paul Cointet le dit fort bien dans sa préface qui vient appuyer celle de 1986 dans laquelle François Léger retraçait l’itinéraire peu ordinaire de Taine. Reçu premier à l’École normale supérieure en 1848, il échoua à l’agrégation pour avoir montré trop de liberté à l’égard des dogmes philosophiques du moment. Sa vie fut celle d’un écrivain indépendant qui avait renoncé à la carrière universitaire. Il se fit connaître, entre autres, par une Histoire de la littérature anglaise (1864) saluée par Sainte-Beuve. Il y actualisait ce qu’il avait déjà écrit dans son Essai sur les Fables de la Fontaine (1853) : la littérature est une des meilleurs portes d’accès au passé pour l’historien. Cela restera une clef de ses interprétations : la littérature s’explique par les époques qui l’ont produite. Et de ces époques, elle révèle le sens.

Les Origines de la France contemporaine

Les Origines de la France contemporaine

Longtemps indifférent au débat politique, Taine est soudain réveillé par le traumatisme de 1870 : « J’ai l’âme comme une plaie ; je ne savais pas que l’on tenait tant à sa patrie ! » Il se trouve associé au grand élan de douleur patriotique qui soulevait alors Michelet et Renan, Fustel et Littré. Un devoir nouveau s’impose à lui, qui va absorber toutes ses forces jusqu’à sa mort : rechercher les causes du malheur français. Ce sera son œuvre magistrale : Les Origines de la France contemporaine. Ses travaux antérieurs avaient été d’utiles préparations. Sa culture était immense et ses curiosités universelles. Son esprit philosophique était rare chez les historiens de son temps, surtout collecteurs de faits.

Qu’est-ce que la France contemporaine ? À la fin du XVIIIe siècle, « pareille à un insecte qui mue, elle subit une métamorphose. Son ancienne organisation se dissout ; elle en déchire elle-même les plus précieux tissus et tombe en des convulsions souvent mortelles. Puis, après des tiraillements multiples et une léthargie pénible, elle se redresse. Mais son organisation n’est plus la même ; par un sourd travail intérieur, un nouvel être s’est substitué à l’ancien. » Pour comprendre la France contemporaine, il fallait donc se tourner « vers la crise terrible par laquelle l’Ancien Régime a produit la Révolution et la Révolution le Régime nouveau. »

Pour Taine, c’est bien l’Ancien Régime qui a produit la Révolution. Thèse déjà soutenue par Tocqueville, mais que Taine développe avec une ampleur écrasante. L’Ancien Régime est mort d’avoir tué tous les corps intermédiaires, à commencer par la noblesse, ne laissant subsister que des individus face à un monstre froid, l’État. À cette désertification de la société s’est superposée une fermentation intellectuelle que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe. Elle a combiné l’esprit scientifique du XVIIIe siècle au legs de l’esprit classique : « Boileau, Descartes, Corneille, Racine, Fléchier, etc., sont les ancêtres de Saint-Just et de Robespierre. »

Taine s’en explique longuement : une fois que le dogme monarchique et religieux eut été usé par ses excès et renversé par l’interprétation scientifique du monde, « l’esprit classique a produit fatalement la théorie de l’homme abstrait et le contrat social. » Nous n’en sommes pas encore sortis.

Dominique Venner

À propos de

Les Origines de la France contemporaine. Par Hippolyte Taine, Robert Laffont, Bouquins, 1708 p., 35 €

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