Saint Empire – La Nouvelle Revue d'Histoire https://www.la-nrh.fr L'histoire à l'endroit Tue, 22 Aug 2017 11:56:13 +0000 fr-FR hourly 1 Éditorial et sommaire du n°87 (novembre-décembre 2016) https://www.la-nrh.fr/2016/11/editorial-et-sommaire-du-n87-novembre-decembre-2016/ https://www.la-nrh.fr/2016/11/editorial-et-sommaire-du-n87-novembre-decembre-2016/#comments Tue, 01 Nov 2016 05:00:26 +0000 https://www.la-nrh.fr/?p=3236 Éditorial et sommaire du n°87 (novembre-décembre 2016)
L’esprit de résistance et la résilience dont ont su faire preuve les Hongrois au cours de leur histoire millénaire trouvent sans aucun doute leur source dans les siècles d’épreuves qu’ils ont dû traverser pour maintenir une identité constamment menacée.]]>
Éditorial et sommaire du n°87 (novembre-décembre 2016)

La longue et riche histoire de la Hongrie. Éditorial de Philippe Conrad (NRH n°87. Dossier : Indomptable Hongrie)

Les Hongrois viennent d’approuver, à 98 % des suffrages exprimés, la décision prise par leur Premier ministre de refuser les quotas de répartition des réfugiés qu’entendent leur imposer Angela Merkel et les technocrates bruxellois. Les médias du système n’en ont pas moins chanté victoire, le quorum de participation nécessaire à la validation de ce choix n’ayant pas été atteint. Amère victoire pour les tenants de la pensée unique, incapables de comprendre que les peuples ne sont pas des agrégats informes d’individus interchangeables, privés de racines et de mémoire. Le gouvernement hongrois a de plus aggravé son cas en faisant école. La Slovaquie, la République tchèque et la Pologne, réunies au sein du groupe de Visegrad opposent un front commun aux diktats de Bruxelles. La perspective de voir l’Autriche rejoindre la dissidence fait craindre le pire… Les performances électorales des partis « populistes » dans d’autres pays européens ne font qu’accroître les inquiétudes des tenants d’un mondialisme déconnecté du réel.

NRH n°87. Dossier : Indomptable Hongrie

NRH n°87. Dossier : Indomptable Hongrie

L’histoire demeure heureusement ouverte et l’avenir n’est écrit nulle part, les dernières décennies l’ont largement confirmé mais, quelles que soient les perspectives d’un sursaut salvateur face à la société marchande planétaire déculturée en cours de formation, il convient de s’interroger quant aux raisons qui ont fait qu’un petit pays de dix millions d’habitants porte aujourd’hui, par l’exemple qu’il donne, les espoirs de bon nombre d’Européens.

L’esprit de résistance et la résilience dont ont su faire preuve les Hongrois au cours de leur histoire millénaire trouvent sans aucun doute leur source dans les siècles d’épreuves qu’ils ont dû traverser pour maintenir une identité constamment menacée. Née de la fusion de l’élément magyar issu des steppes orientales avec des populations slaves puis germaniques, la population hongroise, réunie et christianisée par saint Étienne au tournant de l’an 1000, connaît d’abord les luttes opposant les Grands à l’autorité royale. en 1242, les tatars envahissent le royaume qui perd le tiers de sa population.

Il faut, au XIVe siècle, l’avènement de la dynastie d’Anjou pour que le royaume de la sainte Couronne renoue avec la puissance. Le retour de l’instabilité dynastique favorise les entreprises des Ottomans et le roi Sigismond est vaincu en 1396 à Nicopolis. L’irruption de Tamerlan en Asie mineure laisse un sursis à l’Europe balkanique et danubienne mais les exploits de Jean Hunyadi n’ont qu’un effet retardateur. En 1526, la défaite de Mohacs signe la fin de la Hongrie médiévale, occupée désormais en majeure partie par les turcs jusqu’à la fin du XVIIe siècle, quand les victoires de Charles de Lorraine et du prince Eugène ouvrent le temps du repli ottoman.

Intégrés à l’empire Habsbourg en y conservant nombre de leurs libertés traditionnelles, les Hongrois resteront fidèles à François Ier quand Napoléon tentera de les entraîner contre leur souverain légitime. Mais le printemps des peuples de 1848 les voit se dresser contre vienne et réclamer en vain leur indépendance. ils sauront au moins se garantir une large autonomie dans le cadre du compromis de 1867, fondateur de la double Monarchie austro-hongroise qui les fait participer au concert européen jusqu’à la guerre de 1914-1918 dont l’issue se révèle pour eux épouvantable.

Vaincus, ils voient leur territoire largement amputé et nombre de leurs nationaux constituer des minorités dans les pays voisins. Contraints de se rallier au camp de l’axe au cours de la deuxième Guerre mondiale, ils basculent ensuite pour près d’un demi-siècle dans la nuit communiste. en 1956, ils manifestent leur soif de liberté avant de la conquérir en 1990 lorsque s’effondre le bloc soviétique. L’oligarchie qui s’installe alors a vite fait de décevoir. Les émeutes de 2006 réveillent l’esprit de rébellion d’un peuple qui refuse de subir, une révolte qui fait écho à celles de 1848 et de 1956.

Le secret de cette résistance réside peut-être simplement dans le fait que les Hongrois sont les héritiers d’une longue et riche histoire dont ils ont conservé la mémoire, source indispensable au maintien de leur identité, la meilleure des défenses contre le nivellement mortifère engendré par le mondialisme libéral.

Philippe Conrad

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Au sommaire de ce numéro

Éditorial. La riche histoire de la Hongrie. Par Philippe Conrad
Rencontre. Un diagnostic pour l’Europe en crise. Entretien avec Jean-François Gautier. Propos recueillis par Pauline Lecomte
Actualit��. Le billet inattendu de Péroncel-Hugoz. Les dominicains à Saint-Maximin
Anniversaire. Le tour du monde de Bougainville. Par Philippe Conrad
Mémoire. L’armée de Condé ou la grande errance. Par Anne Bernet
1914-1918. Les si mal nommés “comités secrets”. Par Rémy Porte
Décryptage. Été 1944. L’épuration en Haute-Vienne. Par Xavier Laroudie
Portrait. Sylla, de la République au pouvoir personnel. Par Emma Demeester
Jeu. Sylla et son temps
Mémoire des lieux. Notre-Dame de l’Épine, au coeur de la Champagne. Par Fabrice Madouas
La caméra explore l’histoire. Du Guesclin. Par Philippe d’Hugues
Livres. Actualité de livres historiques
Un historien, une œuvre. Albert Mathiez. Par Olivier Zajec

Indomptable Hongrie

– Présentation du dossier
– La Sainte couronne de Hongrie. Entretien avec Geza Palffy. Propos recueillis par é. Mousson-Lestang
– Saint Martin, européen et fédérateur. Par Ferenc Toth
– Les Angevins de Hongrie. Par Martin Benoist
– La Hongrie face aux Turcs. Entretien avec Pal Fodor. Propos recueillis par é. Mousson-Lestang
– Mars Hungaricus in Gallia. Par Ferenc Toth
– La révolution hongroise de 1848. Par Henry Bogdan
– La musique, c’est l’âme d’un peuple. Par Jean-François Gautier
– 1918-1919 : les Rouges, les Blancs et les Alliés. Par Nicolas de Lamberterie
– La blessure du traité de Trianon. Par Alexis Lassagne
– Nicolas Horthy, le régent méconnu. Par Ghislain de Diesbach
– Le parti des Croix fléchées. Par David Tarot
– 1956 : les combattants de la liberté. Par Henri-Christian Giraud
– L’octobre 1956 de Dominique Venner. Propos recueillis par Nicolas de Lamberterie
– La Hongrie depuis 1956, de Kadar à Orban. Par Nicolas de Lamberterie
– Viktor Orban, champion de l’Europe des nations souveraines. Entretien avec Viktor Orban

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Henry Bogdan, l’historien de la Mitteleuropa https://www.la-nrh.fr/2010/07/henry-bogdan-lhistorien-de-la-mitteleuropa/ https://www.la-nrh.fr/2010/07/henry-bogdan-lhistorien-de-la-mitteleuropa/#respond Thu, 01 Jul 2010 10:00:10 +0000 https://www.la-nrh.fr/?p=458 Henry Bogdan, l’historien de la Mitteleuropa
Spécialiste incontesté de la Mitteleuropa, Henry Bogdan est un historien aux connaissances confondantes. Nous lui avons demandé d’évoquer pour nous son itinéraire et de développer plusieurs questions historiques majeures se rapportant au long passé de l’Europe centrale.]]>
Henry Bogdan, l’historien de la Mitteleuropa
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°49, juillet-août 2010. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Quand on pense à l’histoire de la Mitteleuropa, à celle de la Couronne d’Autriche, à celle de l’Allemagne, ou encore à celle des pays danubiens et des minorités nationales d’Europe centrale, un nom s’impose d’emblée, celui d’Henry Bogdan. Cet historien aux connaissances confondantes a enseigné à l’Institut de l’Europe centrale et orientale de l’université d’Aix-Marseille, au Centre d’Études européennes de l’université de Marne-la-Vallée, il est conférencier à l’École de Guerre. Il est de surcroît l’auteur d’un ensemble impressionnant d’ouvrages qui font autorité, parmi lesquels La Guerre de Trente Ans, Histoire des Habsbourg, Histoire de l’Allemagne, Histoire des Pays de l’Est et, tout récemment Les Hohenzollern. Nous lui avons demandé d’évoquer pour nous son itinéraire d’historien, les raisons de sa vocation, et de développer aussi plusieurs questions historiques majeures se rapportant au long passé de l’Europe centrale, afin de mieux comprendre son présent.

La Nouvelle Revue d’Histoire : Quelle fut l’origine de votre vocation d’historien ? Certains grands professeurs ont-ils compté dans vos choix ?

Henry Bogdan : À mon entrée en troisième au lycée Louis-le-Grand, je me sentais attiré par les lettres classiques. J’éprouvais un grand intérêt pour le latin que j’avais étudié depuis la sixième et pour le grec que j’avais abordé en quatrième. À travers ces deux langues, j’avais pris contact avec l’histoire, celle de l’Antiquité gréco-romaine. C’est en classe de philosophie, la terminale actuelle, que je choisis d’orienter vers l’histoire mes futures études supérieures.

Ce choix, je le dois à mon professeur d’histoire, un homme extraordinaire, brillant, à la culture immense qui sut, non seulement m’intéresser, mais aussi me transmettre sa passion pour cette matière. Il s’agissait de Michel Laran qui, par la suite, fut chargé de l’enseignement de l’Histoire de la Russie et des pays de l’Est à l’École des Langues orientales, et dont je suivis les cours lorsque j’étudiais les langues finno-ougriennes dans cet établissement. L’influence de ce professeur fut telle que je renonçais à me lancer dans l’aventure des lettres classiques. Une fois mon bac obtenu, je m’inscrivis à la fois à l’École des Langues orientales, et à la Sorbonne en licence d’histoire, puis ce fut le DES, le CAPES et enfin l’agrégation d’Histoire.

NRH : Vous êtes, je crois, d’origine hongroise. Cela a-t-il eu une influence sur la spécialisation de vos recherches ?

HB : À cette question, je ne peux répondre que par l’affirmative. Mon père était un Hongrois de Transylvanie – mais dont les ancêtres du côté maternel étaient des Huguenots poitevins qui trouvèrent refuge en Hongrie après la révocation de l’Édit de Nantes. Après avoir servi dans la Légion étrangère, mon père se fixa en France, épousa une Française, ma mère. Celle-ci était savoyarde par sa mère et alsacienne par son père. Son grand-père paternel avait opté pour la France en 1871 et émigré à Paris, mais las d’être traité de boche, il retourna en Alsace vers 1900. Une ascendance donc assez originale.

Il est évident que la connaissance de la langue hongroise acquise auprès de mon père explique l’intérêt que j’ai toujours porté à l’histoire de la Hongrie puis à celle des autres pays danubiens. Par la suite, une bourse me permit d’étudier à Vienne pendant un semestre et d’y acquérir de solides notions de langue allemande. Ce séjour viennois m’incita à orienter mes recherches vers l’histoire des pays de la Mitteleuropa : l’Autriche-Hongrie d’abord et l’Allemagne par la suite.

NRH : Que pensez-vous de la méconnaissance fréquente que l’on a en France de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe centrale ?

HB : Les Français en général connaissent assez mal l’histoire des autres pays de l’Europe. La place consacrée à l’Allemagne et aux pays d’Europe centrale est assez réduite dans les manuels de l’enseignement secondaire. Si l’Allemagne des XIXe et XXe siècles est relativement bien connue, c’est principalement à cause des conflits qui l’ont opposée à la France. On connaît aussi le IIIe Reich à travers de nombreux ouvrages grand public et de films.

En revanche, on ignore le dynamisme économique de l’Allemagne de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, avec la Hanse, les Fugger et le rayonnement commercial des villes du sud comme Augsbourg ou Nuremberg. Quant à la vie culturelle intense de cette époque, seuls les amateurs d’art savent qui étaient Cranach, Dürer ou Holbein.

Le monde des Habsbourg est encore plus mal connu, en dehors de Charles Quint et de François-Joseph. On ignore presque tout de cet empire sur lequel les Habsbourg ont régné pendant près de cinq siècles. Cette méconnaissance est regrettable sur un plan purement intellectuel, mais elle fut surtout lourde de conséquences au niveau de la politique extérieure de la France. La plupart des diplomates à de rares exceptions près, comme André François-Poncet pour l’Allemagne, et Maurice Paléologue pour la Russie et l’Autriche-Hongrie, ne connaissaient guère mieux l’Allemagne et les pays d’Europe centrale que l’« honnête homme » cultivé de son temps.

Aujourd’hui, les choses ont évolué. La création de la CEE puis de l’Union européenne, la chute du Mur de Berlin et les changements politiques qui l’ont suivie dans les « Pays de l’Est », les échanges culturels, le tourisme de masse, ont permis à un public beaucoup plus large de mieux connaître ces pays.

NRH : Quand peut-on faire commencer l’histoire de l’Allemagne ? On prétend souvent que la France fut le premier royaume constitué après le partage de l’empire carolingien. Mais n’est-ce pas plutôt la Germanie sous le règne d’Henri Ier l’Oiseleur qui a constitué un véritable royaume avant celui de France ?

HB : Quand débute l’histoire de l’Allemagne ? Qui, des deux royaumes de France et d’Allemagne est né le premier ? À première vue, on pourrait considérer que les deux royaumes sont apparus en 843 avec le traité de Verdun qui consacre le partage de l’héritage carolingien. Malgré l’existence d’une Francia media attribuée à Lothaire ainsi que le titre impérial, on voit se dessiner l’ébauche de la future France et de la future Allemagne avec la Francia occidentalis donnée à Charles le Chauve et la Francia orientalis reçue par Louis II le Germanique. Le médiéviste Ferdinand Lot faisait commencer l’histoire de la France au traité de Verdun, tout comme Camille Jullian.

Pour l’Allemagne, les historiens allemands choisissaient une date plus tardive. En fait, la formation des deux royaumes fut une œuvre qui s’inscrit dans le temps, et le Xe siècle marque une étape décisive. Pour la naissance de l’Allemagne, on peut avancer la date de 911. En effet, à la mort du dernier carolingien Louis l’Enfant, les grands des duchés allemands réunis à Forcheim choisirent comme roi de Germanie l’un d’entre eux, Conrad duc de Franconie. À la mort de Conrad en 919, les Grands lui donnèrent pour successeur le Saxon Henri Ier l’Oiseleur que Conrad avait choisi pour successeur. Il y avait désormais un royaume de Germanie.

Pour la France, la situation est plus complexe car le Xe siècle fut marqué par l’instabilité et l’alternance sur le trône de Carolingiens et de Robertiens. Il faut attendre 987 et l’élection de Hugues Capet par les Grands pour que l’on puisse véritablement parler d’un royaume de France.

NRH : Charlemagne était-il un empereur français ou allemand ?

HB : Carolus Magnus, notre Charlemagne, le Karl der Grosse des Allemands fut-il un empereur français ou allemand ? Les Français et les Allemands le revendiquent comme leur souverain, chacun à sa manière. Une revendication toute légitime car l’empereur « à la barbe fleurie » régna à la fois sur les territoires dont les uns par la suite furent français et les autres allemands. En fait, le Regnum francorum sur lequel Charlemagne régna de 768 à 814 s’étendait des Pyrénées et de la Catalogne jusqu’à l’Elbe à l’est et l’Italie au sud-est. Charlemagne s’efforça d’en maintenir et d’en renforcer l’unité.

Charlemagne avait pour langue maternelle le francique, le parler moyen-allemand utilisé par les Francs ripuaires, mais il y avait aussi selon les chroniqueurs des connaissances en langue romane et en latin. Sa résidence officielle était Aix-la-Chapelle (Aachen) mais il fit aussi de fréquents séjours en Lorraine à Thionville et à Remiremont, et aussi dans ses résidences de la vallée de l’Oise, à Noyon et à Quierzy, c’est-à-dire dans les régions situées au centre de l’Etat franc, à la limite des zones linguistiques romanes et germaniques. Ce n’est pas un hasard si Aix-la-Chapelle est le lieu où chaque année on décerne un prix Charlemagne pour récompenser une personnalité ayant œuvré pour l’Europe.

NRH : Comment expliquez-vous que l’Empire majoritairement allemand constitué par Othon Ier le Grand en 962 ait englobé pour plusieurs siècles des régions francophones en Lorraine, en Franche-Comté, et dans ce que l’on appelle à l’époque le royaume d’Arles qui incluait la vallée du Rhône jusqu’à Lyon ?

HB : L’Empire restauré en 962 au profit du roi de Germanie Othon Ier – tout comme l’Empire carolingien et même l’ancien Empire romain des Césars – ne reposait pas sur des bases ethniques. Ce n’est qu’en 1512 que l’Empire est qualifié de « Saint Empire romain de nation allemande » et encore à ce moment-là, le royaume de Bohême dont le souverain est Prince-Electeur, est peuplé majoritairement de Tchèques, donc de Slaves. Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que des régions francophones aient fait partie de l’Empire.

Si le royaume d’Arles s’est détaché assez vite du Saint Empire, la Franche-Comté fut terre d’Empire jusqu’à son incorporation à la France en 1668. Le duché de Lorraine devenu en 1542 « un État libre et non incorporable » protégé par l’Empire à la suite du traité de Nuremberg entre Charles Quint et le duc Antoine, resta membre du Saint Empire jusqu’à la renonciation au trône ducal de François III Etienne en 1736.

La décentralisation extrême et le très large degré d’autonomie dont jouissaient les différentes provinces de l’Empire permirent à tous les habitants de conserver leur identité et leur culture. En Franche-Comté, comme en Lorraine, les populations n’acceptaient pas de gaieté de cœur de passer sous l’autorité d’un État français centralisateur, alors que dans l’Empire ils disposaient de leurs propres institutions et d’assemblées représentatives.

NRH : Dans votre Histoire de l’Allemagne, vous montrez que l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen en dépit de l’attention qu’il portait à l’Italie et au royaume de Sicile, fut néanmoins un authentique empereur allemand. Sa disparition en 1250 et l’extinction de sa dynastie par la volonté des papes ne fut-elle pas une catastrophe historique pour l’Allemagne ?

HB : Frédéric II de Hohenstaufen est toujours considéré en Allemagne comme l’un des plus grands souverains du Saint Empire. Pourtant, lui qui est né en Sicile en 1194, qui en fut le roi à la mort de son père Henri VI en 1197, passa la plus grande partie de sa vie à s’occuper des affaires italiennes et proche-orientales. Frédéric II ne fut guère présent en Allemagne sauf de 1212 à 1220 et de l’été 1235 à l’automne 1237. Cela ne l’empêcha pas d’encourager la conquête et la colonisation de la Prusse et de la Livonie menées par son plus fidèle conseiller Hermann von Salza, Grand Maître de l’Ordre Teutonique. Pendant son règne, Frédéric II fut à plusieurs reprises excommunié bien qu’il parvint à libérer pacifiquement Jérusalem et une partie de la Terre Sainte autrefois conquises par Saladin. Il fut victime des intrigues de la papauté pour affaiblir son autorité tant en Allemagne qu’en Italie.

Sa mort en 1250 et l’extinction de sa Maison fut catastrophique pour l’Allemagne. De son vivant, la politique haineuse du Pape Innocent IV contre Frédéric II avait provoqué la reprise, en Allemagne, de la guerre civile et la montée en puissance d’anti-rois comme Guillaume de Hollande.

Après sa mort, l’Empire, durant le « Grand interrègne » (1250-1273), connut une période de désordre. Faute d’un pouvoir central efficace, les « chevaliers pillards » et les ligues urbaines s’affrontaient. Le pouvoir impérial passa aux mains de princes étrangers comme Richard de Cornouaille et Alphonse X de Castille. Il fallut attendre 1273 et l’élection de Rodolphe de Habsbourg pour que la paix civile revienne. Pour obtenir les bonnes grâces de la papauté, le prix à payer fut la renonciation du nouveau souverain à intervenir dans les affaires italiennes.

NRH : Sur la longue durée, qu’est-ce qui distingue l’histoire de l’Allemagne proprement dite et celle de l’Empire habsbourgeois ? En quoi ces deux histoires se mêlent et se distinguent ?

HB : À l’origine, il y a un ensemble politique unique, le Saint Empire romain qui comprend l’Allemagne, la Bohême et la Marche d’Autriche. Cette dernière est depuis le XIIIe siècle tenue à titre héréditaire par les Habsbourg, tout comme d’autres Maisons princières règnent sur les duchés, comtés et seigneurie d’Allemagne. L’empereur, quant à lui, est issu de l’une ou l’autre de ces Maisons princières. La situation se modifie en 1438 lorsque Albert II de Habsbourg, gendre de l’empereur Sigmund, est élu empereur.

C’est là qu’apparaît la distinction entre l’histoire de l’Allemagne et celle de l’« empire » habsbourgeois. Tous les successeurs d’Albert II à la tête du Saint Empire seront choisis dans la famille des Habsbourg, sauf entre 1742-1745 où un Wittelsbach, Charles VII, sera empereur. Mais à côté de la dignité impériale, les Habsbourg possèdent à titre héréditaire un patrimoine familial composé des duchés autrichiens et de leurs dépendances (Tyrol, Carniole, Trieste, etc.) auquel s’ajoute en 1526 les royaumes de Bohême, de Hongrie et de Croatie et par la suite d’autres territoires comme la Dalmatie et la Galicie polonaise. La fonction de chef du Saint Empire donne à celui qui l’occupe des pouvoirs limités car chacun des États allemands est de facto souverain, surtout après 1648.

C’est là que se situe la coupure entre les deux histoires, celle de l’Allemagne et celle de la monarchie habsbourgeoise. D’un côté il y a les Habsbourg –la Domus austriaca – qui règnent à titre héréditaire sur un « empire » de plus en plus multinational, et dont une partie fait néanmoins partie du Saint Empire. D’un autre côté, il y a une Allemagne, le « noyau dur » du Saint Empire, divisée en des dizaines et des dizaines d’entités politiques qui vont des grandes principautés territoriales, comme la Bavière ou la Prusse, jusqu’à des micro-États, les villes libres d’Empire, chacune de ces entités ayant son histoire propre.

Il est vrai que souvent l’histoire de l’Allemagne et celle de la monarchie habsbourgeois se sont confondues, lors du combat en commun contre l’envahisseur ottoman. Parfois, elles sont distinctes. Parfois, les Habsbourg eurent à lutter contre les États allemands. C’est ce qui se produisit en 1864 -1866 lorsque les Hohenzollern de Prusse « expulsèrent » d’Allemagne les Habsbourg.

NRH : Revenons un peu en arrière pour évoquer la Hongrie. Avant le XIe siècle et la conversion du roi de Hongrie, Étienne Ier, les Magyars avaient représenté une menace constante pour le Saint Empire. Comment a évolué la composition du peuple hongrois depuis les origines ?

HB : Avant Étienne Ier (997-1038) – Saint Étienne – les Magyars installés dans leur habitat actuel depuis 896 furent jusqu’en 955 une menace permanente pour le Saint Empire et pour tout l’Occident. N’oublions pas qu’en 924-925, leurs cavaliers s’aventurèrent jusque dans le Languedoc et le Toulousain. Le 10 août 955, la victoire écrasante d’Othon le Grand devant Augsbourg mit fin définitivement aux incursions des Magyars en Occident. L’œuvre évangélisatrice d’Adalbert de Prague permit l’intégration du peuple magyar à la chrétienté occidentale, tandis qu’au contact de leurs voisins slaves, les Magyars se sédentarisaient peu à peu.

À leur arrivée, les Magyars avaient trouvé sur place des populations résiduelles, celtes plus ou moins romanisés, proto croates en Pannonie, Bulgares en Transylvanie, et même des Avars demeurés sur place et dont tout laisse à penser que certains étaient des proto hongrois. Pour peupler le pays, les rois de Hongrie accueillaient volontiers des « hôtes » étrangers car selon Saint Étienne « un royaume est faible s’il ne s’y trouve qu’une seule langue et une seule coutume ». L’un des successeurs de Saint Étienne hérita vers 1095 de la Croatie-Slavonie, royaume qui resta associé à la Hongrie jusqu’en 1918.

Au XIIIe siècle, les premiers colons allemands s’installèrent en Transylvanie et dans les régions minières de l’actuelle Slovaquie. Après l’invasion tartare de 1241-1242, Béla IV accueilli en grand nombre des colons valaques (Roumains) et allemands en Transylvanie, Slovaques et Ruthènes dans les Carpates septentrionales. Les Serbes furent les derniers arrivants. Entre 1690 et 1694, 40 000 familles serbes sous la conduite du patriarche de Pec, Arsène III, fuyant les persécutions turques quittèrent le Kossovo et s’établirent dans l’actuelle Voïvodine où Léopold Ier leur donna des terres. Plus tard enfin, au XIXe et au début du XXe siècle, de nombreux Juifs fuyants les pogroms de Roumanie et de Russie se réfugièrent en Hongrie. De la sorte en 1910, 46 % de la population en Hongrie (sans compter la Croatie autonome) était constituée de populations allogènes.

NRH : Avant la Première Guerre mondiale, les adversaires français des Habsbourg prétendaient que leur empire était une « prison des peuples ». Qu’en est-il réellement ?

HB : Qualifier la monarchie habsbourgeoise de « prison des peuples » est une contrevérité. Curieuse prison des peuples en effet où des dizaines de milliers de Juifs de Roumanie et de Russie fuyant les pogroms vinrent trouver refuge entre 1880 et 1910, où des milliers de jeunes Polonais quittaient la partie de leur pays administré par la Russie pour venir faire des études supérieures à Cracovie et à Lemberg (Lvov), là où se trouvaient les deux seules universités de langue polonaise en Europe centro-orientale et que finançait le gouvernement autrichien !

L’Autriche-Hongrie était un État de droit où tous les habitants, quelque soit la langue qu’ils parlaient ou la religion qu’ils professaient, étaient égaux devant la loi et avaient accès à toutes les fonctions. Les premiers cadres de l’armée de la Pologne redevenue indépendante en 1918 avaient occupé des postes d’officiers supérieurs ou généraux dans l’armée austro-hongroise. De toutes façons, il valait mieux être Tchèque ou Roumain dans l’empire de François-Joseph que Polonais ou Ukrainien dans la Russie tsariste, ou qu’Irlandais à l’époque victorienne. Ce n’est pas en Autriche-Hongrie qu’il y avait dans les trains des compartiments réservés aux seuls Allemands ou Hongrois, mais c’est dans les États-Unis de Wilson, de Roosevelt et de Truman qu’il y avait des compartiments « for whites only ».

NRH : Vous venez de publier Les Hohenzollern, la dynastie qui a fait l’Allemagne 1061-1918. À partir de quand cette dynastie a-t-elle joué un rôle majeur ?

HB : Les Hohenzollern n’ont joué un rôle majeur dans l’histoire allemande que très tardivement. Longtemps, ils se sont contentés de servir loyalement les empereurs, les Hohenstaufen, les Luxembourg puis les Habsbourg jusqu’au début du XVIIIe siècle. Cette politique fut payante. En 1415, le burgrave Frédéric de Hohenzollern reçut le margraviat de Brandebourg et la dignité électorale. En 1701, l’Électeur Frédéric III reçut de l’Empereur Léopold I la dignité royale et devint ainsi Frédéric Ier roi « en Prusse ». Par ailleurs, les Hohenzollern eurent la chance en 1610 d’acquérir par héritage le duché de Clèves et ses dépendances, puis en 1618 le duché de Prusse. Pourtant, faute de disposer d’une armée conséquente, ils subirent les effets dévastateurs de la guerre de Trente Ans qui ne leur valut en 1648 que des acquisitions modestes.

C’est avec le Grand Électeur (1640-1688) que les Hohenzollern commencent à jouer un rôle majeur. L’administration est modernisée, une armée de 25 000 hommes est constituée, qui fera ses preuves en 1675 face aux Suédois lors de la bataille de Fehrbellin. Le petit-fils du Grand Électeur, le roi Frédéric-Guillaume Ier – le roi-sergent – renforça la puissance militaire de la Prusse tout en préférant utiliser les moyens diplomatiques pour régler les conflits. Son fils Frédéric II, Frédéric le Grand, grâce à l’armée léguée par son père, confirme la place de tout premier rang qu’occupe désormais la Prusse en Allemagne. En s’emparant de la Silésie autrichienne, Frédéric II entama le lent processus qui un siècle plus tard a placé les Hohenzollern à la tête d’un empire dont les Habsbourg sont désormais exclus.

NRH : Dans votre livre, vous brossez un portrait de l’empereur Guillaume II qui réhabilite quelque peu ce personnage contesté. En politique étrangère, certaines attitudes provocatrices n’ont-elles pas contribué au climat de tension qui a conduit l’Europe à la guerre en 1914 ? Enfin, dès le début du conflit, pourquoi a-t-il abandonné le pouvoir aux mains des grands chefs militaires qui n’étaient pas des politiques ?

HB : Guillaume II, le dernier empereur qui a régné sur l’Allemagne est un personnage aujourd’hui encore très décrié. Les Allemands lui reprochent d’avoir perdu la guerre, ou plutôt de les avoir entraînés dans la guerre. Les anciens adversaires de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale lui reprochent d’avoir créé par ses attitudes provocatrices un climat favorable au déclenchement d’un conflit majeur. Pourtant, les Allemands semblent oublier que Guillaume II a donné une impulsion décisive au développement économique du pays et qu’il a fait de l’Allemagne le pays le plus avancé dans le domaine social à cette époque.

La politique extérieure de Guillaume II fut moins heureuse dans la mesure où il renonça à la politique d’entente avec la Russie menée par Bismarck jusqu’à sa démission forcée en mars 1890. Il est vrai aussi que le tsar Alexandre III n’appréciait guère son jeune neveu Guillaume II. Avec Nicolas II, les relations germano-russes s’améliorèrent quelque peu mais le tsar devait compter avec des ministres très engagés dans le rapprochement avec la France. Les tentatives d’ouvertures faites par Guillaume II en direction de Nicolas II furent systématiquement contrées par les ministres russes. Ce qui incontestablement a joué un rôle décisif dans la montée des tensions au début du XXe siècle, ce fut à la fois certains discours provocateurs du Kaiser et la mise en œuvre d’une politique que Londres jugea contraire à ses intérêts. La politique navale de Guillaume II fut mal perçue à Londres, bien que Londres disposait pour longtemps encore d’une écrasante supériorité sur les mers. Ce qui fut encore plus mal accepté du gouvernement britannique, ce fut la politique de pénétration économique menée dans l’empire ottoman, accompagnée d’une ébauche de coopération militaire.

Assez paradoxalement, lors de la crise en juillet 1914, ce fut le gouvernement britannique qui tenta de calmer le jeu. À Berlin, l’état-major dictait sa loi aux politiques et même à l’empereur, et poussait à la guerre. Une fois la guerre engagée, les principales décisions furent prises par les chefs militaires qui les imposèrent à Guillaume II. Les tentatives d’ouverture du côté de la Russie en 1916, les réserves de Guillaume II à propos du retour de Lénine en Russie demeurèrent sans effet. Et ce furent encore les chefs militaires, Hindenburg et Ludendorff qui, au début de novembre 1918, imposèrent à Guillaume II son abdication.

Propos recueillis par Pauline Lecomte

Crédit photo : DR

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Henry Bogdan

Agrégé d’histoire, diplômé des “Langues O”, Henry Bogdan est un spécialiste reconnu de la Mitteleuropa. Il enseigne à l’EMSSI (École militaire, Paris). Parmi ses nombreux ouvrages, nous pouvons citer La Guerre de Trente Ans (Perrin, 1998), Les Chevaliers teutoniques (Perrin, 2002), Histoire de l’Allemagne, de la Germanie à nos jours (Perrin, 2003), La Lorraine des Ducs. Sept siècles d’histoire (Perrin, 2005), Histoire des Habsbourg (Perrin, 2005), Histoire de la Bavière (Perrin, 2007), Histoire des Pays de l’Est (Tempus, 2008). Il vient de faire paraître Les Hohenzollern. La dynastie qui a fait l’Allemagne (1061-1918) (Perrin, 2010).

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