Nicopolis – La Nouvelle Revue d'Histoire https://www.la-nrh.fr L'histoire à l'endroit Tue, 22 Aug 2017 11:56:13 +0000 fr-FR hourly 1 Éditorial et sommaire du n°87 (novembre-décembre 2016) https://www.la-nrh.fr/2016/11/editorial-et-sommaire-du-n87-novembre-decembre-2016/ https://www.la-nrh.fr/2016/11/editorial-et-sommaire-du-n87-novembre-decembre-2016/#comments Tue, 01 Nov 2016 05:00:26 +0000 https://www.la-nrh.fr/?p=3236 Éditorial et sommaire du n°87 (novembre-décembre 2016)
L’esprit de résistance et la résilience dont ont su faire preuve les Hongrois au cours de leur histoire millénaire trouvent sans aucun doute leur source dans les siècles d’épreuves qu’ils ont dû traverser pour maintenir une identité constamment menacée.]]>
Éditorial et sommaire du n°87 (novembre-décembre 2016)

La longue et riche histoire de la Hongrie. Éditorial de Philippe Conrad (NRH n°87. Dossier : Indomptable Hongrie)

Les Hongrois viennent d’approuver, à 98 % des suffrages exprimés, la décision prise par leur Premier ministre de refuser les quotas de répartition des réfugiés qu’entendent leur imposer Angela Merkel et les technocrates bruxellois. Les médias du système n’en ont pas moins chanté victoire, le quorum de participation nécessaire à la validation de ce choix n’ayant pas été atteint. Amère victoire pour les tenants de la pensée unique, incapables de comprendre que les peuples ne sont pas des agrégats informes d’individus interchangeables, privés de racines et de mémoire. Le gouvernement hongrois a de plus aggravé son cas en faisant école. La Slovaquie, la République tchèque et la Pologne, réunies au sein du groupe de Visegrad opposent un front commun aux diktats de Bruxelles. La perspective de voir l’Autriche rejoindre la dissidence fait craindre le pire… Les performances électorales des partis « populistes » dans d’autres pays européens ne font qu’accroître les inquiétudes des tenants d’un mondialisme déconnecté du réel.

NRH n°87. Dossier : Indomptable Hongrie

NRH n°87. Dossier : Indomptable Hongrie

L’histoire demeure heureusement ouverte et l’avenir n’est écrit nulle part, les dernières décennies l’ont largement confirmé mais, quelles que soient les perspectives d’un sursaut salvateur face à la société marchande planétaire déculturée en cours de formation, il convient de s’interroger quant aux raisons qui ont fait qu’un petit pays de dix millions d’habitants porte aujourd’hui, par l’exemple qu’il donne, les espoirs de bon nombre d’Européens.

L’esprit de résistance et la résilience dont ont su faire preuve les Hongrois au cours de leur histoire millénaire trouvent sans aucun doute leur source dans les siècles d’épreuves qu’ils ont dû traverser pour maintenir une identité constamment menacée. Née de la fusion de l’élément magyar issu des steppes orientales avec des populations slaves puis germaniques, la population hongroise, réunie et christianisée par saint Étienne au tournant de l’an 1000, connaît d’abord les luttes opposant les Grands à l’autorité royale. en 1242, les tatars envahissent le royaume qui perd le tiers de sa population.

Il faut, au XIVe siècle, l’avènement de la dynastie d’Anjou pour que le royaume de la sainte Couronne renoue avec la puissance. Le retour de l’instabilité dynastique favorise les entreprises des Ottomans et le roi Sigismond est vaincu en 1396 à Nicopolis. L’irruption de Tamerlan en Asie mineure laisse un sursis à l’Europe balkanique et danubienne mais les exploits de Jean Hunyadi n’ont qu’un effet retardateur. En 1526, la défaite de Mohacs signe la fin de la Hongrie médiévale, occupée désormais en majeure partie par les turcs jusqu’à la fin du XVIIe siècle, quand les victoires de Charles de Lorraine et du prince Eugène ouvrent le temps du repli ottoman.

Intégrés à l’empire Habsbourg en y conservant nombre de leurs libertés traditionnelles, les Hongrois resteront fidèles à François Ier quand Napoléon tentera de les entraîner contre leur souverain légitime. Mais le printemps des peuples de 1848 les voit se dresser contre vienne et réclamer en vain leur indépendance. ils sauront au moins se garantir une large autonomie dans le cadre du compromis de 1867, fondateur de la double Monarchie austro-hongroise qui les fait participer au concert européen jusqu’à la guerre de 1914-1918 dont l’issue se révèle pour eux épouvantable.

Vaincus, ils voient leur territoire largement amputé et nombre de leurs nationaux constituer des minorités dans les pays voisins. Contraints de se rallier au camp de l’axe au cours de la deuxième Guerre mondiale, ils basculent ensuite pour près d’un demi-siècle dans la nuit communiste. en 1956, ils manifestent leur soif de liberté avant de la conquérir en 1990 lorsque s’effondre le bloc soviétique. L’oligarchie qui s’installe alors a vite fait de décevoir. Les émeutes de 2006 réveillent l’esprit de rébellion d’un peuple qui refuse de subir, une révolte qui fait écho à celles de 1848 et de 1956.

Le secret de cette résistance réside peut-être simplement dans le fait que les Hongrois sont les héritiers d’une longue et riche histoire dont ils ont conservé la mémoire, source indispensable au maintien de leur identité, la meilleure des défenses contre le nivellement mortifère engendré par le mondialisme libéral.

Philippe Conrad

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Au sommaire de ce numéro

Éditorial. La riche histoire de la Hongrie. Par Philippe Conrad
Rencontre. Un diagnostic pour l’Europe en crise. Entretien avec Jean-François Gautier. Propos recueillis par Pauline Lecomte
Actualité. Le billet inattendu de Péroncel-Hugoz. Les dominicains à Saint-Maximin
Anniversaire. Le tour du monde de Bougainville. Par Philippe Conrad
Mémoire. L’armée de Condé ou la grande errance. Par Anne Bernet
1914-1918. Les si mal nommés “comités secrets”. Par Rémy Porte
Décryptage. Été 1944. L’épuration en Haute-Vienne. Par Xavier Laroudie
Portrait. Sylla, de la République au pouvoir personnel. Par Emma Demeester
Jeu. Sylla et son temps
Mémoire des lieux. Notre-Dame de l’Épine, au coeur de la Champagne. Par Fabrice Madouas
La caméra explore l’histoire. Du Guesclin. Par Philippe d’Hugues
Livres. Actualité de livres historiques
Un historien, une œuvre. Albert Mathiez. Par Olivier Zajec

Indomptable Hongrie

– Présentation du dossier
– La Sainte couronne de Hongrie. Entretien avec Geza Palffy. Propos recueillis par é. Mousson-Lestang
– Saint Martin, européen et fédérateur. Par Ferenc Toth
– Les Angevins de Hongrie. Par Martin Benoist
– La Hongrie face aux Turcs. Entretien avec Pal Fodor. Propos recueillis par é. Mousson-Lestang
– Mars Hungaricus in Gallia. Par Ferenc Toth
– La révolution hongroise de 1848. Par Henry Bogdan
– La musique, c’est l’âme d’un peuple. Par Jean-François Gautier
– 1918-1919 : les Rouges, les Blancs et les Alliés. Par Nicolas de Lamberterie
– La blessure du traité de Trianon. Par Alexis Lassagne
– Nicolas Horthy, le régent méconnu. Par Ghislain de Diesbach
– Le parti des Croix fléchées. Par David Tarot
– 1956 : les combattants de la liberté. Par Henri-Christian Giraud
– L’octobre 1956 de Dominique Venner. Propos recueillis par Nicolas de Lamberterie
– La Hongrie depuis 1956, de Kadar à Orban. Par Nicolas de Lamberterie
– Viktor Orban, champion de l’Europe des nations souveraines. Entretien avec Viktor Orban

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Entretien avec Philippe Contamine https://www.la-nrh.fr/2004/01/entretien-avec-philippe-contamine/ https://www.la-nrh.fr/2004/01/entretien-avec-philippe-contamine/#respond Thu, 01 Jan 2004 10:00:22 +0000 https://www.la-nrh.fr/?p=150 Entretien avec Philippe Contamine
Les travaux de Philippe Contamine ont renouvelé notre connaissance du Moyen Âge, la guerre, le pouvoir, la chevalerie, Jeanne d’Arc, Charles VII.]]>
Entretien avec Philippe Contamine
Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°10, janvier-février 2004. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Les travaux de Philippe Contamine ont renouvelé notre connaissance du Moyen Âge, la guerre, le pouvoir, la chevalerie, Jeanne d’Arc, Charles VII.

Quai Conti, Philippe Contamine me reçoit dans son bureau de la Fondation Thiers. Notre conversation commence, de façon très informelle. Après avoir rappelé qu’il est le fils d’un historien célèbre, je lui demande si l’histoire s’est imposée à lui par tradition familiale.

Philippe Contamine : J’ai effectivement été très marqué par la personnalité chaleureuse, rayonnante, et par l’enseignement de mon père. J’ai beaucoup reçu de lui. Ne serait-ce que par les livres qui tapissaient sa bibliothèque, j’ai baigné dans une atmosphère favorable. Mais nous sommes une famille de cinq enfants et ni mes deux frères ni mes deux sœurs n’ont suivi la même voie. Il n’y avait donc pas de fatalité. Cela fut mon choix personnel d’opter pour des études littéraires au sens large. J’ai suivi des classes de Lettres supérieures à Louis-le-Grand, fasciné par leur variété. L’histoire n’y occupait qu’une place parmi d’autres. Ensuite, quand vint le temps de la décision, car mon ambition était d’enseigner, par élimination successive et en raison de mes goûts et de mes capacités, j’ai choisi l’histoire. Cela s’est fait pour ainsi dire naturellement et je ne vous étonnerai pas en disant que je ne le regrette pas. Je me suis épanoui dans les études historiques, dès lors que l’on peut étudier le passé, surtout lointain, selon les points de vue les plus variés.

Pour ce qui est du choix de la période, le Moyen Age et plus particulièrement les derniers siècles de celui-ci, je puis donner quelques raisons : d’une part, ne pas faire exactement comme mon père, spécialiste d’histoire contemporaine ; en deuxième lieu, c’était sans doute la période que je connaissais le moins bien et l’attrait de l’inconnu jouait ; enfin, je soupçonnais combien entrer professionnellement dans le Moyen Age occidental était difficile : je n’étais pas chartiste et il y a un certain nombre de disciplines ou de sciences auxiliaires qu’il convient de maîtriser. Il y avait là un défi, celui de l’érudition, à laquelle d’ailleurs je reste profondément attaché. Je pensais aussi qu’il était moins nécessaire de se spécialiser que pour d’autres époques, qu’il était possible d’étudier le Moyen Age sous toutes ses facettes, toucher à l’histoire économique aussi bien qu’à celle des techniques, par exemple. Je voyais déjà bien que le monde médiéval formait une vraie civilisation avec ses valeurs et sa cohérence.

J’ai opté pour les derniers siècles du Moyen Age dans la mesure où (à tort ou à raison) je considérais qu’il y avait encore beaucoup d’inédit ou d’inconnu dans la masse de la documentation, alors qu’en ce qui concerne le haut Moyen Age, tout est plus ou moins publié. Il y a de nouvelles lectures possibles, mais l’enrichissement du corpus vient très largement de l’archéologie, et je n’étais pas archéologue. La fin du Moyen Age s’est imposée d’autant mieux que j’ai trouvé un maître auquel je rends grâce en la personne de Robert Boutruche, qui se situait lui-même dans la lignée de Marc Bloch. Pour ma thèse, je ne souhaitais pas faire, comme lui, un travail régional, et parmi les trois thèmes que j’avais envisagés, deux s’étant avérés des chasses gardées d’érudits de l’époque que je ne souhaitais pas bousculer, j’ai opté pour le troisième, la guerre à la fin du Moyen Age.

Je pensais qu’il y avait là un sujet central, où les sources inédites étaient nombreuses, et qui était alors très peu traité dans l’Université. À l’intérieur de ce thème, il fallait se restreindre, c’est pourquoi ma thèse s’est intitulée « Guerre, État et Société, études sur les armées des rois de France de 1337 à 1494 ». Ce sont des études, ce n’est pas tout le sujet. Le récit y occupe très peu de place, « l’histoire-bataille » y est négligée à dessein. C’étaient la société des gens de guerre et l’institution militaire, la naissance de l’armée française d’Ancien Régime – une très grande chose ! – qui ont été mes idées directrices. J’ai voulu appliquer les idées braudéliennes à un sujet qui n’était pas au cœur de la réflexion braudélienne.

NRH : Il n’y a pourtant pas chez vous de refus pur et simple de l’événementiel ?

PC : Non. Mais au niveau de ma thèse, il restait second. Je pense pourtant que l’événementiel, et en particulier l’événementiel militaire, la bataille (Georges Duby l’a magnifiquement montré dans son Dimanche de Bouvines), est très fort, très symbolique, très complexe, et résume, subsume quantité de phénomènes d’une société dans le domaine matériel mais également dans le domaine mental.

NRH : En un demi-siècle, on a l’impression que la curiosité pour le Moyen Age a beaucoup augmenté.

PC : Tout à fait. Il y a plusieurs raisons. Premièrement, le nombre de médiévistes de profession a considérablement augmenté : combien étaient-ils dans les universités françaises en 1960, combien sont-ils aujourd’hui ? Je n’ai pas les chiffres précis, mais je suis sans doute en dessous de la vérité en disant que ce nombre a été multiplié par quatre. Ces médiévistes de profession ont cherché, ils ont trouvé, ils ont travaillé, ils ont produit. Et cela dans toutes les directions, avec une curiosité tous azimuts. Il y a eu certes un effet de concurrence ou de compétition plus sensible qu’auparavant, mais aussi, je crois, un effet de solidarité. J’ai écrit, il y a quelques années, un article, « Le Médiéviste dans sa planète ». La planète des médiévistes est bien constituée, clairement identifiable. Songeons aussi aux colloques, aux congrès, aux symposiums, etc., qui offrent bien sûr des facilités : chacun apporte sa petite pierre et puis s’en va. Peut-être même y a-t-il désormais trop de rencontres : comme le disait mon ami Jacques Le Goff à un certain moment, on est malade de colloques (il a employé, je crois, le mot de « colloquite »). Mais en même temps, ces rencontres sont fructueuses, car on sait qui travaille sur quoi, il y a des échanges d’informations et plus encore des échanges d’idées. Si bien qu’en un sens, la « qualité moyenne du produit », si on peut dire, s’est améliorée, comme il en va sans doute aussi dans les « sciences dures ». Donc, il y a eu un accroissement quantitatif et peut-être aussi qualitatif.

Deuxièmement, il y a le fait que le Moyen Age a attiré davantage le public. Parfois de façon un peu pittoresque, quelquefois même de façon un peu ridicule ou caricaturale, mais le Moyen Age littéraire et artistique désormais plaît. On comprend de mieux en mieux que c’est une époque certes un peu étrange, lointaine, déroutante, mais ayant sa grandeur et qui a laissé un héritage de beauté. C’était une vraie civilisation, avec une cohérence très forte.

NRH : Ne peut-on parler d’une dimension fondamentalement européenne du Moyen Age ? Le Chevalier de Bamberg et l’Ange de Reims me semblent des visages fraternels.

PC : Absolument. On voit très bien comment la Chrétienté du Moyen Age allait justement au-delà des nations et des États souverains : les grands mouvements du Moyen Age ignorent les frontières. Il y a peut-être une sorte de contraste entre un Moyen Age féodal assez morcelé et celui qui se déploie dans le cadre de ce qu’on appelle de nos jours l’Europe. À l’époque, le mot n’était pas inconnu, mais il était employé seulement par les savants ou les géographes. Disons donc plutôt le mot Chrétienté, ou plus exactement Chrétienté latine, par opposition à la Chrétienté orientale et byzantine. Le phénomène des universités s’étendait à l’échelle de la Chrétienté latine, celui de l’art également, dans son expression gothique.

Même le phénomène littéraire ou celui de la culture, au sens des valeurs et des mentalités, étaient à cette échelle. La chevalerie, par exemple, le mythe de la chevalerie et les valeurs chevaleresques sont répandus quasiment de la Pologne à la Castille et de l’Écosse au royaume de Naples. Dans cette perspective-là, on peut remarquer, et ça n’est pas indifférent, que le royaume de France a occupé une place privilégiée.

Je pense qu’il y a une espèce de nostalgie de cette France-là, notamment celle du XIIIe siècle, rayonnante en dépit de tous ses malheurs.

NRH : Dans le vaste univers du Moyen Age, quels sont les thèmes et les sujets sur lesquels vous porte toujours votre curiosité ?

PC : Rétrospectivement, tout autant qu’un historien, je me considère comme un professeur d’histoire médiévale qui a été de ce fait amené à faire des cours et à diriger des travaux dans toutes sortes de directions. Je suis un généraliste de l’histoire médiévale, du moins à l’intérieur des deux ou trois siècles qui ont ma prédilection, ceux de la fin du Moyen Age, que j’ai essayé d’aborder un petit peu par tous les côtés.

Cela étant, j’ai eu un certain nombre d’obsessions, si l’on peut dire, dont trois demeurent à l’heure actuelle : le règne de Charles VII, qui est un personnage tout à fait intéressant ; Jeanne d’Arc, et il est assez difficile de rendre hommage à Jeanne d’Arc sans déprécier Charles VII – et réciproquement ! – mais Charles VII a eu un règne très long et il a évolué au cours de ces quarante ans, et une troisième « obsession » qui est la civilisation médiévale comme civilisation du cheval.

NRH : Êtes-vous cavalier vous-même ?

PC : Non, pas du tout. Mais j’ai pensé qu’il y avait là un thème très important. Par conséquent, je prends le cheval comme un tout : c’est le problème de l’équitation, celui de l’équipement du cheval, mais aussi celui de sa valeur symbolique – aller à cheval ou se déplacer à pied en signe de pénitence, etc.

Il y avait alors les cavaliers et les gens de pied, c’est une coupure fondamentale. Sans compter les ânes et les mules, le cheval ce n’est pas simplement le cheval de guerre mais aussi le cheval pour les dames (j’ai écrit un article qui s’appelle précisément « Dames à cheval ») et également le cheval de labour et la grande lutte qui oppose le cheval de labour et le bœuf de labour, lutte grandiose et assez fascinante, avec un équilibre qui a duré quasiment jusqu’au xxe siècle.

NRH : Y a-t-il d’autres personnages, moins connus peut-être, qui vous fascinent également ?

PC : Il y en a au moins deux, tous deux écrivains, mais qui se sont mêlés de la chose politique. L’un est Philippe de Commynes. Il me fascine depuis très longtemps et c’est vraiment un homme hors du commun. Georges Duby m’avait demandé une présentation de ses Mémoires, ce que j’ai accepté de faire dans la collection « Acteurs de l’histoire » à l’Imprimerie nationale, même s’il y a de plus grands spécialistes que moi, notamment Joël Blanchard.

L’autre est Philippe de Mézières, le chancelier de Chypre, qui vivait au XIVe siècle et qui a écrit des œuvres absolument fascinantes, étranges, mais pleines de richesses et d’instruction, la plus connue d’entre elles étant le Songe du Vieil Pèlerin, parce que lui-même se pensait en pèlerin et que le thème du songe est très à la mode au XIVe siècle comme fiction littéraire.
Je prépare, avec Jacques Paviot, une édition de l’Épître lamentable et consolatoire écrite par Philippe de Mézières en 1396 à la suite de la « déconfiture » de Nicopolis. Cette épître est adressée à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, dont le fils Jean, comte de Nevers, le futur Jean sans Peur, était prisonnier des Turcs.

NRH : Quelle est l’ampleur de ce texte ? Destinez-vous cette publication au grand public ?

PC : Non, plutôt à un public savant ou du moins éclairé. Ce texte, en français, représente une centaine de pages imprimées au plus. On en conserve l’unique manuscrit, celui que Philippe de Mézières a offert à Philippe le Hardi, à la Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles. Philippe de Mézières s’était retiré aux Célestins de Paris, mais il demeurait en contact avec les puissants de ce monde et suivait les affaires. Ce très beau texte est particulièrement éclairant sur la vision qu’avait le XIVe siècle des rapports avec les Infidèles et la Croisade.

Philippe de Mézières est vraiment un écrivain européen : il a parcouru tous les pays d’Europe de la Sicile à la Prusse et à la Scandinavie, dans le but de réformer la Chrétienté. Il estimait cette tâche nécessaire en vue de reprendre la croisade contre les Sarrasins, le Soudan de Babylone et Jérusalem, mais en même temps contre les Turcs vainqueurs à Nicopolis, qui sont si différents et qui constituent désormais à ses yeux la grande menace pour la Chrétienté.

Pour relancer la Croisade, Philippe de Mézières a, sans jamais y parvenir, voulu créer un nouvel Ordre de chevalerie qui aurait mis à l’écart les Hospitaliers de Rhodes et remplacé les Templiers : l’Ordre de la Passion du Christ. Là encore, une obsession. Il a œuvré auprès des princes chrétiens pour trouver des appuis financiers, politiques, humains en vue de cette grande fondation qu’il imaginait grandiose, mais celle-ci n’a jamais vu le jour et le rêve est demeuré utopie.

Propos recueillis par Patrick Jansen

Crédit photo : DR

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