Jean Kappel – La Nouvelle Revue d'Histoire L'histoire à l'endroit Wed, 23 Mar 2016 17:22:37 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.4.2 Éditorial et sommaire du n°75 (novembre-décembre 2014) /2014/11/editorial-et-sommaire-du-n75-novembre-decembre-2014/ /2014/11/editorial-et-sommaire-du-n75-novembre-decembre-2014/#respond Sat, 01 Nov 2014 08:00:48 +0000 /?p=2040

Les Français rétifs à l’impôt

Survenue il y a quelques mois, la révolte des « Bonnets rouges » bretons a totalement surpris la classe politico-médiatique, bien incapable de prévoir de tels événements et d’anticiper en amont sur les malaises et les revendications ainsi exprimés.

Ce fut l’occasion d’un retour mémoriel inattendu, lorsque les manifestants, qui s’en prenaient aux portails établis pour percevoir l’écotaxe, commencèrent à s’identifier aux paysans mobilisés en 1674 contre une administration royale leur réclamant les taxes liées à la délivrance du « papier timbré ». La mobilisation bretonne a atteint les objectifs qu’elle visait, le gouvernement reculant sur toute la ligne à propos d’une mesure qui avait fait l’objet, lors de la législature précédente, d’un très large consensus. On pourrait donc juger irrésistible une réaction antifiscale de ce type, appuyée de plus, dans cette région particulière confrontée à l’épuisement d’un modèle économique vieux d’un demi-siècle, sur une forte conscience identitaire. Il n’en est rien car une telle révolte trouve rapidement ses limites si elle ne se greffe pas à d’autres contestations dont l’addition peut déboucher sur un basculement d’envergure.

Il n’en reste pas moins qu’en ce domaine l’avenir n’est écrit nulle part car l’accroissement général de la charge fiscale a de quoi susciter d’autres colères. Outre le choix de l’exil qu’ont fait certains des plus fortunés, ou bon nombre de jeunes attirés par des cieux plus cléments pour faire valoir leur talent ou leur expérience, l’évasion fiscale et, de manière générale, le souci de se soustraire à l’impôt demeurent toujours actuels, d’autant que le traitement infligé aux classes moyennes et aux familles ne peut qu’encourager les rebelles.

Si l’on se tourne vers le passé, l’hostilité au fisc apparaît comme une constante de notre histoire nationale. De la dénonciation de la « tyrannie de l’impôt » par les cahiers de doléances à l’agitation suscitée, au milieu des années 1950, par le mouvement poujadiste, des révoltes paysannes du XVIIe siècle à la contrebande largement pratiquée pour échapper aux impôts indirects prélevés par les agents des fermiers généraux, les Français apparaissent le plus souvent comme des contribuables récalcitrants.

L’idée même de l’impôt s’est imposée difficilement. Elle est moderne et relativement récente. La tradition héritée du Moyen Âge voulait en effet que le souverain vécût de son domaine et que l’impôt royal ne pût avoir qu’un caractère « extraordinaire », ne pouvant être prélevé qu’à l’occasion de circonstances exceptionnelles, principalement les guerres.

Au fil du temps, l’impôt va cependant se banaliser et survivre aux conflits qui avaient initialement justifié sa levée. Une fois sa nécessité admise – un consensus relatif est acquis sur ce point dès le XVIIIe siècle – diverses théories fiscales vont s’affronter pour tenter de concilier justice, simplicité et rentabilité, ce dont rendent compte les débats engagés à la veille des États Généraux et au sein de l’Assemblée constituante.

Il faut toutefois l’instauration du régime napoléonien pour que soit mise en place une administration fiscale solide et efficace, appelée à devenir l’une des « masses de granit » sur lesquelles le Premier Consul, devenu Empereur, va construire l’édifice étatique de la France contemporaine. Paradoxalement, le régime issu des années révolutionnaires va enterrer les espérances formulées en 1789, en rétablissant notamment les droits indirects, tant décriés quinze ans plus tôt.

Le prospère XIXe siècle s’accommodera ensuite des « quatre vieilles » contributions nées de la Révolution et de l’Empire. Ce n’est qu’en 1914, à l’initiative de Joseph Caillaux et à l’issue d’un long combat parlementaire, que la France adoptera, de nombreuses années après ses grands voisins européens, l’impôt sur le revenu.

L’établissement de la déclaration fiscale, l’apparition des taxes sur le chiffre d’affaires en 1920, celle de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) après la Seconde Guerre mondiale, et le recours à des taxes ou autres contributions sociales diverses – on se souvient de la vignette automobile – vont compléter et affiner l’outil mis en place par l’État pour s’assurer les ressources nécessaires, au risque d’encourager la mauvaise volonté des citoyens contribuables.

Car l’histoire a montré à diverses reprises que « l’impôt tue l’impôt » et que certains prélèvements, en décourageant l’effort et l’initiative, aboutissent à l’inverse du but recherché par le législateur.

Philippe Conrad

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Éditorial

Les Français rétifs à l’impôt. Par Philippe Conrad

Actualité de l’histoire
  • Entretien avec Martin Benoist
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La France détruit sa puissance. Entretien avec Christian Harbulot. Propos recueillis par Pauline Lecomte

Découvertes
  • Guillaume de Bertier de Sauvigny. Par Yves Morel
  • Brantôme, de l’épée à la plume. Par Emma Demeester
  • Des Européens aux portes de la Chine. Par Henri Levavasseur
  • 1914 : l’impossible neutralité de l’Empire ottoman. Par Tancrède Josseran
  • 1914 : la mêlée des Flandres. Par Rémy Porte
  • Le difficile apostolat de Benoît XV. Par Martin Benoist
  • Conflits autour de l’art abstrait. Par Aude de Kerros
  • Atlas des guerres africaines. Entretien avec Bernard Lugan. Propos recueillis par Virginie Tanlay
Jeu

Brantôme et son temps. Par Emma Demeester

Dossier
  • Le poids de l’impôt
  • Présentation du dossier
  • Aux origines de l’impôt royal. Par Emma Demeester
  • Soulèvements paysans contre l’impôt. Par Philippe Conrad
  • La dîme, un impôt millénaire. Par Emma Demeester
  • Gabelle, faux-sauniers et gabelous. Par Jean-Joël Brégeon
  • La Dîme royale de Vauban. Par Martin Benoist
  • Les fermiers généraux. Par Jean Kappel
  • 1789 : La tyrannie du fisc. Par Philippe Conrad
  • Napoléon et l’impôt. Par Virginie Tanlay
  • Juillet 1914 : naissance de l’impôt sur le revenu. Par Philippe Conrad
  • 1953 : Poujade, le rebelle contre le fisc. Par Philippe Parroy
Livres

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Éditorial et sommaire du n°74 (septembre-octobre 2014) /2014/09/editorial-et-sommaire-du-n74-septembre-octobre-2014/ /2014/09/editorial-et-sommaire-du-n74-septembre-octobre-2014/#respond Mon, 01 Sep 2014 08:00:19 +0000 /?p=781

Le temps est venu d’une histoire impartiale

L’heure est aux anniversaires et aux commémorations en cet été 2014. La France se souvient du déclenchement de la Grande Guerre. Au début du mois de septembre, c’est le rappel du « miracle » de la Marne qui occupera pendant quelques jours les mémoires. Mais le souvenir de l’Union sacrée qui réunit alors le pays face à l’immense tragédie ne peut occulter un épisode moins consensuel de notre histoire nationale, la Libération de 1944, tant attendue, mais entachée par les injustices et les crimes qui accompagnèrent l’Épuration. Une lecture partisane des événements s’imposa naturellement au lendemain de la guerre. Elle affirmait la légitimité de la dissidence gaulliste de 1940, oubliait que les pleins pouvoirs avaient été votés au maréchal Pétain par une large majorité des députés socialistes et réduisait le régime de Vichy à un pouvoir autoritaire et réactionnaire imposé au pays à la faveur de la défaite. Entré tardivement dans la résistance, le Parti communiste, celui des « 75 000 fusillés », magnifiait son rôle dans la lutte contre l’ennemi pour mieux faire oublier l’exil moscovite de son chef et s’attribuer un brevet de patriotisme, assez surprenant quand on se souvient des sabotages organisés, durant la « drôle de guerre » 39-40, dans les usines d’armement… Un historien tel que Robert Aron a très vite remis en cause les interprétations par trop simplistes de la période mais la théorie « paxtonienne » (1), qui s’est imposée depuis une trentaine d’années dans les médias dominants, a contribué à l’occultation de bien des vérités sur lesquelles il est utile de revenir aujourd’hui.

Préparée par le général Weygand et commandée en Italie et en France par des chefs demeurés loyaux au gouvernement de Vichy en 1940, l’armée d’Afrique reprend la lutte en novembre 1942 lors de la rupture de l’armistice. Elle a constitué le principal instrument militaire du retour de la France dans la guerre, en Tunisie, en Italie et en Provence, même si le rôle de la 2e division blindée « gaulliste » du général Leclerc a un peu occulté tout cela dans la mémoire collective.

Les sacrifices consentis par les maquisards sont naturellement venus s’inscrire dans l’épopée de la Libération. La figure d’un Tom Morel, le héros des Glières, trouve naturellement sa place dans le panthéon des combattants de la Résistance, mais il apparaît aujourd’hui que l’importance militaire des grands rassemblements constitués dans des zones montagneuses et isolées est demeurée limitée.

Longtemps gommée d’une histoire écrite par les vainqueurs, l’Épuration qui, à des degrés divers, s’est abattue, à tort ou à raison, sur une partie des Français demeure l’objet de débats passionnés, ce dont témoigne le fait qu’il est encore impossible de présenter un bilan précis des exactions et des crimes commis au cours de l’été 1944. Il faut bien admettre que la France vaincue et occupée – dans laquelle le gouvernement de Vichy avait perdu, depuis novembre 1942, les seuls atouts dont le maintien avait justifié l’armistice – a connu, en 1943-1944, la « guerre civile » dont parlait Henri Amouroux. Ce sont les vaincus de ce conflit fratricide – fidèles au maréchal Pétain, miliciens, militants des partis collaborationnistes, simples notables locaux – qui seront les victimes de la « justice » exercée par les communistes ou par d’authentiques bandits métamorphosés en « résistants ».

La lecture canonique de la période a contribué à la formation d’un mythe fondateur de la Libération, régulièrement invoqué pour légitimer la victoire d’un camp sur l’autre ou pour disqualifier aujourd’hui toute parole dissidente. Il apparaît donc nécessaire de relire ces moments à la lumière d’une enquête historique impartiale et débarrassée des préjugés qu’a fatalement engendrés cette époque.

Pour constater, avec Georges Pompidou, que « les vrais héros – ceux qui prirent volontairement et lucidement tous les risques sans réfléchir – sont peu nombreux, de même que sont rares les traîtres conscients et résolus  ».

Philippe Conrad

Notes

  1. Dans son livre La France de Vichy 1940-1944 (Seuil, 1973) l’historien américain Robert O. Paxton défend la thèse d’une réelle volonté vichyste de collaboration avec l’Allemagne.
Courrier des lecteurs
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Le temps est venu d’une histoire impartiale. Par Philippe Conrad

Actualité de l’histoire
  • Entretien avec Jean-Pierre Turbergue
  • La chronique de Péroncel-Hugoz
Portrait/Entretien

Une vie avec l’histoire. Entretien avec Emmanuel Le Roy Ladurie. Propos recueillis par Pauline Lecomte

Découvertes
  • Lucien Jerphagnon, toujours présent. Par Anne Bernet
  • Guillaume le Conquérant. Par Emma Demeester
  • 1664. Saint-Gothard, une victoire européenne. Entretien avec Ferenc Toth. Propos recueillis par Éric Mousson-Lestang
  • Pourquoi Napoléon a choisi l’île d’Elbe ? Pourquoi en est-il parti ? Par Jean Tulard, de l’Institut
  • Buffalo Bill, l’homme qui inventa l’Ouest sauvage. Par Vivianne Perret
  • Septembre 1914. La crise des munitions. Par Rémy Porte
  • Une Déclaration des droits de l’homme pas très “universelle”. Par Arnaud Imatz
Jeu

Guillaume le Conquérant et son temps. Par Emma Demeester

Dossier. Été 1944. Libération et Épuration
  • Présentation du dossier
  • La 1re Armée et la libération de la France. Par François de Lannoy
  • Le temps des maquisards. Par Philippe Parroy
  • Les crimes de l’“épuration sauvage”. Par Jean Kappel
  • L’épuration de l’armée. Le drame de l’obéissance. Par Max Schiavon
  • L’épiscopat n’est pas épargné. Par François de Lannoy
  • Les Normaliens durant l’Occupation. Par Laurent Wetzel
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