Thucydide : la guerre du Péloponnèse
« Ma régénération, ma prédilection, mon traitement contre tout platonisme fut de tout temps Thucydide. Thucydide et peut-être le Prince de Machiavel, sont au plus haut point en affinité avec moi-même par la volonté inconditionnée de ne s’illusionner en rien et de voir la raison dans la réalité — non pas dans la “raison”, encore moins dans la “morale”… »
Cette citation de Nietzsche ouvre l’étude novatrice qu’Olivier Battistini, maître de conférence en histoire grecque à l’université de Corse, consacre à Thucydide et au livre qui l’a immortalisé. Elle est bien choisie. Elle dit en peu de mots le legs inestimable de l’Athénien. Hippolyte Taine qui l’admirait, comme le feront Albert Thibaudet ou Raymond Aron, a dit ce que fut sa nouveauté comme créateur de l’histoire critique et dépassionnée : « Parmi ce peuple de conteurs et de poètes [les Grecs], il a inventé la critique et la science… Entre tous ces faits vérifiés, il a choisi les événements qui sont la substance de l’histoire ; il les présente nus, sans les expliquer comme César, sans plaider comme Tite-Live, sans les colorer comme Tacite… »
On ne connaît aucun autre exemple d’un historien acteur lui-même, qui ait laissé sur les faits rapportés un récit aussi exact et distancé. S’il méprise la « dimension morale », Thucydide est sensible à la dimension « tragique ». Et c’est bien une tragédie qu’il rapporte avec cette guerre fratricide du Péloponnèse, une guerre à mort, qui brisa à jamais la vitalité des cités grecques. Au moment où elle s’engage, les cités et leur civilisation sont pourtant à leur apogée. Et voilà ce qui est saisissant dans cette histoire.
À la lumière de ce récit on comprend comment les Grecs pensaient, comment ils se gouvernaient, comment ils combattaient. Thucydide décrit le choc des hoplites, l’assaut des trières, les manœuvres des stratèges. Mais il analyse aussi les causes lointaines du conflit. Il montre l’enchaînement de l’action des hommes. Il raconte comment les Athéniens, emportés par l’orgueil, ayant méconnu les conseils de Périclès, finirent par succomber, en dépit de leurs efforts surhumains. On sait que la cause de la guerre fut la crainte qu’inspira à d’autres cités l’impérialisme d’Athènes. N’en déplaise aux futurs théoriciens de la supériorité de la mer sur la terre, on assiste à la destruction de la thalassocratie athénienne par la coalition continentale qu’avait rassemblée Sparte. Une coalition qui avait appris à combattre sur mer. Olivier Battistini a raison de souligner que Thucydide est le fondateur de l’histoire politique.
En parallèle à cette étude brillante, on lira également avec profit l’ouvrage que Michel Debidour vient de publier au Rocher (collection l’Art de la guerre), Les Grecs et la guerre. De la guerre ritualisée à la guerre totale, 217 p., 21 €.
À propos de
Thucydide : la guerre du Péloponnèse. Par Olivier Battistini, Ellipses, 160 p., 14,50 €