Faire de l’histoire autrement. Entretien avec Philippe de Villiers
Homme politique au parcours atypique, Philippe de Villiers a surtout été le fondateur du spectacle et du parc culturel du Puy du Fou. Il a sorti de l’oubli le martyre subi par la Vendée à l’époque de la Révolution, mais a aussi ouvert de nouvelles perspectives à la transmission de l’histoire et de la mémoire et occupe ainsi, en France et en Europe, une place majeure dans le combat en cours pour le réveil de nos identités. Propos recueillis par Philippe Conrad.
La Nouvelle Revue d’Histoire : Quels ont été votre parcours personnel et les principales étapes de votre formation ?
Philippe de Villiers : Né à Boulogne – en Vendée à proximité des Lucs, l’Oradour vendéen – je suis en fait un Vendéen par le sol, avec des origines normande et lorraine du côté de mon père, catalane du côté de ma mère. Je suis à la fois l’héritier d’une tradition militaire par mon ancêtre le maréchal de Ségur, qui participa à la guerre d’Indépendance américaine et d’une tradition littéraire ou artistique via la comtesse de Ségur, le célèbre auteur du siècle suivant. Mon grand-père a été tué lors des combats du Grand Couronné livrés devant Nancy en septembre 1914 et mon père, officier lui aussi, a servi sous les ordres de De Lattre. Après des études secondaires dans un collège catholique de Fontenay-le-Comte, j’ai été étudiant à Sciences Po et reçu au concours de l’ENA, avant de commencer une carrière de haut fonctionnaire à laquelle j’ai renoncé en 1981, après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle.
Plus qu’à ma formation académique, je demeure attaché aux expériences de ma vie d’enfant dans la campagne vendéenne où j’ai parlé patois jusqu’à l’âge de treize ans. C’est auprès du cantonnier, du garde-champêtre, du maçon et de ce qu’ils exprimaient que j’ai découvert une Vendée aussi festive qu’attachante. Mais à côté de celle-ci vivait souterrainement une Vendée indicible, aux lèvres closes, scellées d’un signe de croix, une Vendée douloureuse demeurée sans sépulture. Ce contact charnel et spirituel a été déterminant dans la formation de ma vision du monde. J’ai découvert là que l’histoire était tragique, et ressenti aussi la force de la tradition. Et ce, jusque dans le bouleversement des paysages quand on a entrepris de détruire les chênes du bocage au nom des illusions du « progrès ». Pour le reste, je me suis aussi formé à la lecture d’auteurs tels que Bernanos ou Gustave Thibon.
NRH : Vous êtes apparu comme un électron libre dans le paysage politique des trente dernières années. Qu’est-ce qui vous distingue du milieu politicien ?
PdV : Les « professionnels » de la politique sont des monomaniaques qui n’ont pas d’autre horizon, d’autre centre d’intérêt ou d’autre passion que leur propre addiction à leurs perspectives de carrière, loin de ce que devrait être le souci du bien commun, alors que l’engagement politique devrait être vécu comme un service, voire un sacrifice. Pour ce qui me concerne, j’ai découvert la vraie vie dans le monde de l’entreprise ou dans celui de l’écriture. J’ai été, par formation, un administrateur mais davantage un entrepreneur. Je considère que, sur trois décennies de vie politique, la première consiste à parler, la deuxième à se taire et la troisième à écrire. Il ne vous aura pas échappé que les hommes politiques ne se reconnaissent guère dans la deuxième…
NRH : Qu’a représenté et que représente pour vous ce terroir vendéen auquel on vous identifie ?
PdV : La Vendée m’apparaît comme une terre d’exception. Au moment où ont disparu les provinces au profit des départements, l’ancien Bas-Poitou – région plutôt pauvre et délaissée du Grand Ouest – est devenu une « province de l’esprit » en s’affirmant comme une terre rebelle et réfractaire, une terre de souffrance où succombèrent par dizaines de milliers des martyrs demeurés sans sépulture. Au cours des années qui suivirent la Révolution, cette terre d’épreuves fut littéralement « sortie de l’histoire » et ce n’est que marginalement qu’au XIXe siècle le souvenir de la tragédie de 1793-1794 put se maintenir, dans la mesure où la République finalement victorieuse ne pouvait reconnaître ce crime fondateur.
J’étais frappé, étant enfant, par ce champ de La Braille dont le nom surprenant rappelait les cris lancés par les enfants qui y étaient massacrés. Ce passé-là m’obligeait à rendre aux Vendéens leur mémoire enfouie. J’ai voulu servir la Vendée parce que j’avais une dette envers elle pour l’enfance heureuse que j’y ai passée mais aussi parce que j’entendais mettre en oeuvre un acte de réparation pour l’oubli de son martyre. Je vous ai dit que j’étais un Vendéen par le droit du sol mais, du côté maternel, j’ai une lointaine ancêtre, Élisabeth Bénigne de Montsorbier, qui fut une amazone de Charette.
NRH : Vous avez publié des livres d’histoire, notamment des biographies. Quels critères ont commandé le choix des personnages retenus ?
PdV : Je me suis notamment intéressé à trois personnages : Charette, Saint Louis et Jeanne d’Arc, qui incarnent à mes yeux les trois vertus de Résistance, de Tempérance et d’Espérance. De tous les chefs de l’insurrection vendéenne, Charette est sans nul doute la personnalité la plus riche et la plus romantique. Il est l’inventeur de la guérilla et meurt en héros, comme nous le rappelons dans le dernier spectacle mis en scène au Puy du Fou intitulé « Le Dernier Panache ». Nos visiteurs sont fortement impressionnés par ce parcours d’un homme qui meurt en commandant lui-même le feu de son peloton d’exécution.
Charette a eu deux vies. Avant d’être l’un des chefs de la résistance vendéenne, il a combattu comme officier de marine au cours de la guerre d’Indépendance américaine et participé, à vingt-quatre ans, à la bataille des Saintes. En Méditerranée orientale, il souhaite la victoire des Grecs insurgés contre les Turcs ottomans, car il voit dans leur lutte un combat pour la liberté et la justice. Sa gloire dépasse largement nos frontières, et notre spectacle du Puy du Fou évoquant son parcours a obtenu un Oscar à Los Angeles.
J’admire chez Saint Louis son souci d’une politique sacrificielle qui le fait s’effacer derrière sa fonction. Je suis ému qu’il meure allongé sur un lit de cendres, les bras en croix à la manière des Cisterciens. Il est aussi un souverain attaché à la justice, une justice qui n’épargne pas les puissants. (…)
Cet entretien est disponible en intégralité dans le n°88 de La Nouvelle Revue d’Histoire, disponible à l’achat dans la boutique en ligne (papier et PDF).