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La Hongrie a occupé une place particulière dans la politique et l’imaginaire ottomans. Les Turcs considéraient depuis le début du XVe siècle le royaume de Hongrie comme leur « ennemi héréditaire ». En tant que seule puissance régionale capable de résister à leur expansion, la Hongrie devint un symbole du monde chrétien et remplaça en quelque sorte Byzance.

La Hongrie face aux Turcs. Entretien avec Pal Fodor

La Hongrie face aux Turcs. Entretien avec Pal Fodor

Source : La Nouvelle Revue d’Histoire n°87, novembre-décembre 2016. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Photo : Livrée le 29 août 1526, la bataille de Mohacs vit la défaite complète de l’armée hongroise et la mort du roi Louis II. La décision du roi de Hongrie d’affronter les troupes ottomanes entre Buda et Belgrade comblait le désir de Soliman le Magnifique d’anéantir les troupes hongroises en bataille rangée, le rapport des forces lui étant très favorable. Quelques jours plus tard, le 10 septembre, Buda capitulait.

Dans cet entretien, l’historien Pal Fodor évoque ce qu’ont représenté pour la Hongrie la conquête, l’occupation et la menace ottomanes au cours de l’époque moderne. Propos recueillis par Éric Mousson-Lestang.

La Nouvelle Revue d’Histoire : Que représentait le royaume de Hongrie dans la stratégie de conquête de l’empire ottoman ?

Pal Fodor : La Hongrie a occupé une place particulière dans la politique et l’imaginaire ottomans. Les Turcs considéraient depuis le début du XVe siècle le royaume de Hongrie comme leur « ennemi héréditaire ». En tant que seule puissance régionale capable de résister à leur expansion, la Hongrie devint un symbole du monde chrétien et remplaça en quelque sorte Byzance. Sa soumission était donc une condition sine qua non de la conquête du monde et du projet de ressusciter l’Empire romain qui était le but ultime de la politique mondiale des Ottomans, surtout après la prise de Constantinople en 1453 et la conquête du Moyen-Orient dans les années 1510. Les sultans ottomans se considéraient également comme les successeurs d’Alexandre le Grand. Cette théorie devint par la suite une idéologie impériale officielle. Lorsque Soliman le Magnifique accéda au pouvoir en 1520, il croyait qu’en tant que maître de Constantinople sa mission consistait à réunir l’Orient et l’Occident.

NRH : Ce rêve d’empire mondial s’est-il brisé sur la défense hongroise ?

PF : Finalement oui. Au XVe siècle, la Hongrie a tenté de résister à l’expansion ottomane de différentes manières. La plus efficace fut l’édification d’une double ligne de places fortes qui protégeait les frontières méridionales, de la mer Adriatique jusqu’au cours inférieur du Danube. Après la fulgurante offensive du sultan Soliman en 1521 ce système de défense s’écroula. L’armée hongroise fut anéantie à la bataille de Mohacs (1526), mais le sultan n’occupa pas systématiquement la Hongrie car il voulait « tout de suite » s’emparer de Vienne. Les offensives contre la capitale de l’Autriche se soldèrent par des échecs en 1529 puis en 1532 si bien que la Hongrie évita le pire : dans sa partie occidentale, non occupée par les Turcs, il y eut un répit et un ressaisissement qui permirent d’édifier un nouveau système de défense avec l’aide du nouveau monarque élu, un Habsbourg. Ces confins militaires, continuellement changeants mirent un terme à l’expansion ottomane vers l’ouest. Les soldats qui y servaient se considéraient véritablement sur le « boulevard de la Chrétienté » et cela leur donna des forces morales pour y résister pendant cent cinquante ans.

NRH : Dans quelle mesure la Hongrie occupée fut-elle intégrée à l’empire ottoman ?

PF : Les Ottomans réussirent à occuper le tiers du territoire de la Hongrie historique, qu’ils fortifièrent. Ils essayèrent d’y introduire leurs institutions avec plus ou moins de succès. Les Ordres du royaume (clergé, noblesse, villes) restant dans les parties non occupées considérèrent toujours les Turcs établis dans le pays comme des envahisseurs de passage et ils parvinrent à maintenir leurs droits, notamment fiscaux et juridictionnels, sur les territoires occupés. Les Ottomans devaient tolérer ce condominium. Cette détermination des Hongrois « occidentaux » contribua au fait qu’il n’y eut pratiquement pas d’islamisation dans la population occupée. D’autre part, contrairement aux pays balkaniques, les Ottomans n’introduisirent jamais en Hongrie leur système de recrutement forcé, c’est à dire l’« impôt des enfants ». Ils ne contrôlèrent en fait jamais véritablement le pays. Leur nombre était d’ailleurs faible : ils furent sûrement moins de 100000 sur une population de près de 850000 habitants.

NRH : Quelles furent les conséquences économiques et démographiques des guerres turques ?

PF : Elles furent terribles. Songez qu’il n’y eut pratiquement pas de jour pendant trois cents ans sans qu’un village hongrois ne soit dévasté et ses habitants emmenés en esclavage. Les infrastructures de la Hongrie médiévale furent détruites pour une bonne partie. Les grandes villes florissantes tombèrent entre les mains des Ottomans et déclinèrent. Il y eut certes un petit rattrapage démographique, mais la Hongrie ne connut pas le grand boom démographique des autres pays européens à l’époque moderne. La proportion de Magyars dans la population tomba par ailleurs de 75 % à 50 %. Après un décollage momentané au début de l’époque moderne, l’économie hongroise fut soudain paralysée et s’isola, dans ce qui était désormais la périphérie de l’Europe. Au surplus, la Cour étant transférée à l’extérieur du royaume, à Vienne, les Hongrois perdirent un centre organisateur comme il en existait dans les pays européens occidentaux. Il n’y eut donc longtemps rien pour construire les bases d’un État-nation par l’homogénéisation du territoire, de la population, de la langue et par le mécénat de la culture. (…)

Cet entretien est disponible en intégralité dans le n°87 de La Nouvelle Revue d’Histoire, disponible à l’achat dans la boutique en ligne (papier et PDF) et en kiosque jusqu’au 28 décembre.

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