C’est un grand livre que rééditent les éditions Bartillat. Un livre plein de fureur et de noblesse.

Novembre 1918, défaite allemande. Le cadet Ernst von Salomon a dix-sept ans. Dans Berlin, il voit revenir les régiments du front : « Ils marchaient comme les messagers de l’épouvante. » Lui, enrage de n’avoir pu se battre, d’être réduit à la soumission des vaincus. L’Allemagne s’effondre dans un épouvantable chaos. Dès leur retour, les régiments se sont débandés. À l’exemple de la Russie, la révolution s’empare de la rue. Du jour au lendemain, la puissante machine de l’État a disparu. Le Kaiser s’est enfui. Des socialistes forment un gouvernement provisoire que menacent les spartakistes. Dans les casernes désertées, quelques officiers constituent des corps francs, les Freikorps. Ils vont devenir l’ultime soutien d’un pouvoir menacé. À la demande de celui-ci, ils écrasent à Berlin et dans les grandes villes les insurrections spartakistes. Pas de quartier ! Canons et mitrailleuses sont leurs arguments. Des étudiants les rejoignent. Ernst von Salomon en fait partie : « La patrie brûlait sourdement dans quelques cerveaux hardis… »

Les Réprouvés. Par Ernst von Salomon

Il ira bientôt se battre en Courlande contre l’Armée rouge avec un corps franc de Hambourgeois qui chantent des chansons de pirate. Dans le Baltikum des Teutoniques, ces hommes rêvent de fonder une nouvelle Allemagne. Au cours des combats hagards du côté de Riga, le jeune cadet se découvre une âme nouvelle : « Dans l’attaque, nous espérions trouver une délivrance […] nous espérions sentir en nous les véritables valeurs du monde […]. Nous croyions au bonheur d’une prompte décision […]. La rupture de tous les liens qui nous attachaient à un monde corrompu, un monde à la dérive. »

Chassés du Baltikum, les corps francs ne pardonneront pas au gouvernement de les avoir floués. Avec fougue et désespoir, ils vont plonger dans l’activisme révolutionnaire. Que veulent-ils ? : « Ce que nous voulions, nous ne le savions pas. Ce que nous savions, nous ne le voulions pas… » Une idée pourtant les guide « Nous ne luttions pas pour donner le bonheur au peuple. Nous luttions pour lui donner un destin. » Les traîtres sont abattus sans pitié. Il s’agit de contrer la politique de Weimar par tous les moyens. Décision est prise d’assassiner Rathenau, non parce qu’il est juif, mais par ce qu’il est «  le seul homme capable de transformer l’Allemagne en une caricature des démocraties marchandes anglo-saxonnes ».

Mêlé à l’assassinat, Ernst von Salomon est condamné à cinq ans de prison. Cette descente dans la nuit forme la seconde partie de ses souvenirs. Une seule lueur dans cette obscurité, l’envoi d’un livre relié de cuir rouge. Mais l’administration pénitentiaire le lui refuse. Un gardien compatissant finira par le glisser dans sa cellule. Le prisonnier s’en empare : c’est Le Rouge et le Noir ! Révélation de sa future vocation d’écrivain.

Et quel écrivain ! Les Réprouvés est un livre unique en son genre. Il ne dit pas seulement ce que fut l’aventure politique au XXe siècle dans sa version la plus enivrante. C’est un livre qui tire un trait sur le vieil humanisme et les bons sentiments. Un désir forcené de hauteur et d’héroïsme. La main qui ne tremble pas. Un autre avenir qui se dessine. L’esprit prussien aussi net et pur que le fil d’une épée.

Dominique Venner

À propos de

Les Réprouvés. Par Ernst von Salomon, Bartillat, 420 p., 22 €

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