Éditorial et sommaire du n°89 (mars-avril 2017)
Octobre 1917 et l’histoire du XXe siècle. Éditorial de Philippe Conrad (NRH n°89. Dossier : 1917, la Russie en Révolutions)
Dans les dernières semaines de l’année 1917, personne n’était en mesure d’évaluer en occident les conséquences du coup d’État accompli à Petrograd par ceux que la presse parisienne désignait alors sous le nom de « maximalistes ».
Cette « minorité agissante », qui mettait en œuvre la stratégie imaginée par Lénine, ne semblait pas en mesure de se maintenir durablement au pouvoir, tant les masses paysannes russes demeuraient étrangères au discours ouvriériste des bolcheviques. L’habileté de Lénine consista à laisser entendre l’imminence d’un partage des terres attendu depuis si longtemps, condition nécessaire pour rallier au nouveau gouvernement provisoire un monde rural dont les éléments les plus avancés se reconnaissaient dans les socialistes révolutionnaires, méthodiquement liquidés à partir de l’été 1918.
Conduisant comme une guerre la conquête du pouvoir, les vainqueurs d’octobre furent ensuite en mesure, contre toute attente, de vaincre leurs adversaires dispersés et d’engager la mise en oeuvre d’une expérience « soviétique » appelée à durer. s’ouvrait alors le chantier qui devait voir la « construction de l’homme nouveau », dans une « patrie du prolétariat » propre à faire rêver une bonne partie des masses ouvrières européennes que la guerre avait écartées du socialisme démocratique et réformateur qui était en train de s’imposer à la veille de 1914.
Héritière de l’empire des tsars, l’union des républiques socialistes soviétiques, dont le nom officiel ne mentionnait même plus la Russie, se prétendait porteuse de « lendemains enchantés ». Mais les illusions se dissipèrent très vite et, si certains, en occident, s’accrochèrent au mythe de la révolution ouvrière inscrite dans la continuité des promesses progressistes issues des Lumières et de la Révolution française, les procès de Moscou et le Retour d’URSS d’André Gide (André Gide, Retour d’URSS, Gallimard, 1936, rééd. Folio, 2009) vinrent rappeler ce qu’était la réalité d’un régime dictatorial usant pour s’imposer de la terreur de masse.
Les immenses sacrifices consentis par l’union soviétique dans la lutte contre l’Allemagne hitlérienne lui valurent une certaine forme de réhabilitation, bientôt remise en cause par la révélation des crimes de Staline. Les performances économiques du pays, largement exagérées par la propagande, et les succès obtenus au tournant des années 1960 dans la conquête spatiale masquèrent encore pour quelque temps les échecs enregistrés dans l’accès du plus grand nombre au bien-être et le caractère hégémonique de la tutelle exercée sur les « peuples frères » des « démocraties populaires ». si les occidentaux demeuraient jusqu’aux années 1980 impressionnés par la puissance militaire du bloc de l’est, la « stratocratie » analysée avec inquiétude par le philosophe grec Cornelius Castoriadis, il nous apparaît pourtant aujourd’hui que son effondrement était largement prévisible. Ce qui l’était moins, en revanche, c’est l’étonnante capacité de résilience dont a su faire preuve la Russie à l’issue de la décennie 1990, qui a correspondu, pour reprendre une formule familière, « aux heures les plus sombres de son histoire » si l’on retient l’effondrement de puissance qu’elle connut durant cette période. une fois de plus, « intellectuels », « spécialistes » et « experts » ne manquèrent pas l’occasion de se tromper en imaginant que le pays pouvait faire table rase de son histoire, en s’inscrivant docilement dans le rôle de puissance secondaire qui lui était désormais réservé par le nouvel ordre mondial. L’aveuglement qui avait prévalu chez beaucoup, quand ils imaginaient l’URSS porteuse de tous les espoirs de justice et de progrès, ne cessa pas après 1991. depuis vingt ans déjà, la révélation du goulag par Alexandre Soljenitsyne et les actions des dissidents avaient pourtant fragilisé un système en sursis, mais la prise de conscience avait été pour beaucoup bien tardive.
La vision aujourd’hui convenue de la nouvelle Russie, telle que l’incarne un Vladimir Poutine, risque tout autant de faire sourire les historiens et les observateurs de l’avenir. La diabolisation de la « démocrature » poutinienne, pour reprendre un néologisme à la mode, et la confusion entretenue avec le temps de la guerre froide n’aident guère à l’analyse des choses. Les donneurs de leçons d’aujourd’hui feraient bien de méditer les mensonges et les erreurs de leurs prédécesseurs d’hier. L’intelligence des véritables ressorts de la révolution d’octobre peut contribuer à cette entreprise salutaire.
Philippe Conrad
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