Éditorial et sommaire du n°83 (mars-avril 2016)
L’exemple irlandais
Nous allons célébrer, le 24 avril prochain, le centième anniversaire de l’insurrection irlandaise de 1916. Lors de ces « Pâques sanglantes », une poignée de militants nationalistes armés occupent la Grande Poste de Dublin. Le drapeau tricolore, devenu signe de ralliement depuis la révolution manquée de 1848, et la bannière bleue frappée de la charrue d’or et des étoiles d’argent du mouvement ouvrier irlandais flottent sur le bâtiment devenu le poste de commandement de l’insurrection, devant lequel le poète Patrick Pearse déclare « souverain et imprescriptible le droit du peuple d’Irlande à la propriété de son pays et à la libre direction de ses destinées… »
On sait ce qu’il advint de cette révolte. Faute d’une préparation suffisante et du fait de l’incompréhension de l’opinion, apaisée par les promesses d’autonomie prodiguées par le gouvernement britannique à la veille de la guerre, l’insurrection n’est pas en mesure de rallier les masses populaires. La répression sera à la mesure de l’inquiétude suscitée à Londres et, si la rébellion a échoué, elle a désormais ses martyrs qui, dénoncés comme des criminels, se métamorphosent rapidement en héros aux yeux de leurs compatriotes.
Les élections de décembre 1918 donnent un triomphe au Sinn Fein partisan de l’indépendance. Faute d’être entendus à la Conférence de la Paix, contraints de constater que les grands principes wilsoniens relatifs au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne s’appliquaient pas à eux, les Irlandais n’auront bientôt plus d’autre choix, fin 1919, que le recours à la lutte armée. Un conflit impitoyable qui aboutit, en décembre 1921, à une indépendance impliquant la partition de l’île, l’Ulster protestant demeurant attaché au Royaume-Uni. La guerre civile qui oppose ensuite les partisans du compromis aux jusqu’au-boutistes vient ajouter aux épreuves que dut affronter l’Irlande pour retrouver sa liberté.
Si l’on considère ce qu’avait été l’histoire de l’île, soumise depuis un millénaire à des dominations étrangères, scandinave d’abord puis anglaise à partir du XIIe siècle, cette conquête de l’indépendance n’était en rien acquise. Une situation aggravée au XVIe siècle par la fracture religieuse de la Réforme, puis par la colonisation particulièrement brutale imposée au siècle suivant par la soldatesque de Cromwell. Privé de sa liberté mais aussi de sa terre, contraint de payer la dîme à une Église anglicane qui était celle de l’occupant, le peuple irlandais attendra vainement son salut d’une intervention extérieure, celle de l’Espagne catholique, du souverain Stuart déchu, de la France révolutionnaire. L’identité catholique va constituer un môle de résistance solide mais il faut, au XIXe siècle, l’émergence d’un véritable sentiment national pour que le combat indépendantiste prenne toute son ampleur. L’obstruction parlementaire mise en œuvre par Parnell et les actions violentes visant les terres des landlords jouent leur rôle. Mais c’est en développant l’enseignement de la langue gaélique, en redécouvrant les trésors de la culture nationale, en ressuscitant la musique et les sports traditionnels que les militants nationalistes vont « rendre les Irlandais à l’Irlande et l’Irlande aux Irlandais ».
Nécessairement inscrite dans un processus de longue durée, aboutissement d’un rêve imaginé par les historiens et les poètes capables de transmettre et d’actualiser l’héritage d’un passé et de formuler le projet d’un avenir, la renaissance d’un peuple passe aussi par le prix du sang versé et par le courage de ceux qui, tels un Patrick Pearse ou un Michael Collins, ont tout sacrifié à la cause qui commandait leur existence.
Philippe Conrad
Crédit photo : Mith via Wikimedia (cc)
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