La Nouvelle Revue d'Histoire : "L'histoire à l'endroit". Fondée en 2002 par Dominique Venner et dirigée par Philippe Conrad.

Il n’existe pas de langue sans un peuple qui la parle. Cette communauté était sûrement restreinte mais pouvait se déplacer sur un vaste espace.

Les Indo-Européens. Débats et controverses. Entretien avec Jean Haudry

Les Indo-Européens. Débats et controverses. Entretien avec Jean Haudry

Source : La Nouvelle Revue d’Histoire hors-série n°11, automne-hiver 2015. Pour retrouver ce numéro, rendez-vous sur la e-boutique en cliquant ici.

Photo : Une enluminure médiévale rend compte des trois fonctions – oratores, bellatores, laboratores – définies par Adalbéron de Laon au XIe siècle. Le Moyen Âge chrétien renouait ainsi avec la tradition des anciennes sociétés indo-européennes.

Dans son récent ouvrage intitulé Où sont passés les Indo-européens ?, l’archéologue Jean-Paul Demoule met en cause l’existence de ces derniers. Jean Haudry lui répond. Propos recueillis par Pauline Lecomte.

La Nouvelle Revue d’Histoire : Est-il exact qu’il n’y ait pas aujourd’hui de consensus quant à la reconstruction de la langue originelle et de l’arbre des langues indo-européennes ?

Jean Haudry : Ces deux points n’appellent pas une réponse unique ; ils doivent être dissociés. L’arbre généalogique est une image ancienne qu’aucun comparatiste actuel, indo-européaniste ou autre, ne considère comme celle de l’évolution d’une langue commune aux langues qui en sont issues par dialectalisation. Elle ne vaut que pour le point de départ, figuré par le tronc, qui représente l’état unitaire de la langue commune, et pour les points d’arrivée, les langues actuelles qui en sont issues. Mais, entre ces deux extrémités, on sait que l’évolution ne se présente pas sous une forme arborescente, mais sous celle d’ondes d’innovation qui interfèrent. Une langue se fragmente en une infinité de parlers dont la plupart s’éliminent tandis que certains survivent sous la forme de patois qui, aux hasards de l’histoire de leurs locuteurs, s’éloignent ou se rapprochent, et dont certains finissent par accéder au statut de langues communes quand les communautés qui les parlent s’imposent d’une façon ou d’une autre, mais toujours pour des raisons étrangères à la langue. À leur tour, ces langues communes se dialectalisent comme l’ont fait celles qui les ont précédées. Le second point – la reconstruction de la langue originelle – appelle une réponse opposée. Oui, il y a un consensus sur son principe et sur ses modalités, là où les données permettent de reconstruire. Ce consensus repose sur le schéma universel de l’évolution linguistique mentionné ci-dessus. La reconstruction de l’indo-européen n’est pas une singularité. Une démarche similaire se pratique partout où l’état de la documentation le permet.

NRH : En va-t-il de même à propos de la langue reconstruite (Ursprache) ?

JH : Le degré de certitude des reconstructions varie selon le secteur de la langue. Celle du système phonologique est assurée, à l’exception des consonnes dites laryngales même si l’on tend à un consensus en faveur d’un système à trois unités. Il en va de même pour la morphologie nominale et verbale, avec toutefois quelques zones d’ombre. Dernière venue, la reconstruction syntaxique reste le parent pauvre. Quant au vocabulaire, les problèmes qu’il pose sont très divers et leur solution n’est pas toujours de la seule compétence du linguiste. Mais un certain nombre de correspondances observées sont précises et complexes. C’est par exemple le cas pour l’adjectif signifiant « jeune » en védique, germanique, latin (juvencus) où la concordance implique six phonèmes et la place originelle de l’accent. La principale incertitude concerne la chronologie des reconstructions. Il est certain que les diverses reconstructions aboutissent à des formes qui ont existé, mais ne sont pas de même ancienneté dans leur genèse.

NRH : L’idée d’un foyer originel n’est-elle qu’une simple hypothèse ?

NRH HS n°11

JH : L’idée d’un foyer originel s’impose, mais ce foyer est d’abord un peuple, car il n’existe pas de langue sans un peuple qui la parle. Il ne peut être localisé géographiquement de façon précise que s’il s’agit d’un peuple sédentaire. La communauté était sûrement restreinte, eu égard au caractère unitaire de la plupart des reconstructions morphologiques et lexicales, mais elle pouvait se déplacer sur un vaste espace. D’autre part, l’hypothèse de strates successives de la langue reconstruite complexifie encore plus la notion de foyer originel.

NRH : Que penser du lien établi par Jean-Paul Demoule à propos de l’identification que voudrait établir les indo-européanistes entre les cultures archéologiques et une représentation anachronique de l’État-nation tel qu’il s’est affirmé au XIXe siècle ?

JH : Je ne sais rien d’éventuelles motivations idéologiques qui auraient poussé les indo-européanistes à identifier l’habitat originel des Indo-Européens à l’un des sites préhistoriques connus. Il me semble que l’identification aux Celtes des cultures de La Tène et de Hallstatt a pesé plus lourd.

(…)

Cet entretien est disponible en intégralité dans le hors-série n°11 de La Nouvelle Revue d’Histoire, disponible à l’achat dans la boutique en ligne (papier et PDF).

Boutique. Voir l’intégralité des numéros : cliquez ici

La Nouvelle Revue d'Histoire