Jean-Pierre Arrignon : d’où vient et où va la Russie ?
Médiéviste, universitaire, Jean-Pierre Arrignon s’est imposé, au cours de ces dernières années, comme l’un des meilleurs observateurs du retour de la Russie et de son évolution.
La Nouvelle Revue d’Histoire : Que pense le médiéviste que vous êtes du débat ouvert à propos de la première Russie de Kiev, que revendiquent aussi bien les Russes que les Ukrainiens ?
Jean-Pierre Arrignon : Ce débat autour de la Rus’ de Kiev a été instrumentalisé par deux grands historiens : le Russe Klioutchevsky (1841-1911) et l’Ukrainien Hruchevsky (1866-1934). Le premier voyait dans l’Empire russe le prolongement naturel de la Rus’ de Kiev alors que le second voit dans cette dernière tous les éléments ethniques et culturels qui vont former ultérieurement l’Ukraine. Cet affrontement a connu son apogée en 1918-1920, lors de la rédaction des traités de paix comme on peut le voir dans le livre, prochainement réédité, du prince Volkonski, La Vérité historique et la propagande ukrainophile (Rome, 1920). Il est clair que le nom d’Ukraine est absent dans la Chronique des temps passés et que le terme n’apparaît qu’à la fin du XIIe siècle, dans un sens purement géographique puisqu’il désigne un espace frontalier entre deux États. L’héritage de la Rus’ de Kiev se transmet donc à la Moscovie, en même temps que l’icône dite de Vladimir, et, de là, à Moscou.
NRH : Existe-t-il une Russie de la forêt et une Russie davantage tournée vers l’horizon infini de la grande steppe eurasiatique ? Comment cerner cette dualité ?
J-PA : Cette opposition entre la Russie des forêts et celle de la steppe est largement utilisée dans les Bylines, ces chants populaires du Moyen Âge russe. Pour les poètes, la forêt a toujours été protectrice et nourricière face à la steppe d’où viennent tous les dangers. Le peintre Vasnetsov a parfaitement rendu cette opposition dans son tableau intitulé Les Trois Preux. De même, la disparition de la Rus’ de Kiev voit les populations migrer pour une part vers le nord, vers la « Mésopotamie russe » où elles fondent les grandes villes de l’« anneau d’or », Vladimir, Souzdal ou Rostov Veliki…
NRH : Comment évaluer aujourd’hui, en le replaçant dans la longue histoire, l’antagonisme russo-polonais ?
J-PA : L’antagonisme russo-polonais est très ancien. Les Slaves de l’Ouest polonais et les Slaves de l’Est s’installent dès le Xe siècle dans deux espaces culturels différents. La Pologne devient chrétienne au sein de la Chrétienté latine et romaine à l’occasion du mariage de Mieczko Ier avec une princesse bohémienne alors que la Rus’ de Kiev entre dans l’oikouméné byzantine en 988 lors du baptême de Vladimir Ier et de son mariage avec la princesse byzantine porphyrogénète Anne. En 1385, l’Union de Krewo s’inscrit dans la poussée vers l’est du christianisme occidental et fait entrer la Lituanie dans l’espace romain. En 1569, l’Union de Lublin crée un nouvel ensemble qui voit la Pologne annexer l’Ukraine jusqu’au Dniepr et, en 1596, avec l’Union de Brest, l’Église orthodoxe polonaise passe, par le biais de l’Église uniate, sous la tutelle de l’État polonais.
Le temps fort de l’affrontement entre Russie et Pologne correspond bien sûr au « temps des troubles » qui affecte la Russie de 1598 à 1613 et voit même le trône de Moscou occupé un temps par des faux Dimitri qui ne sont que des instruments des Polonais. La revanche russe viendra au XVIIIe siècle avec les trois partages de la Pologne effectués en 1772, 1792 et 1795. L’État polonais sera restauré en 1918 mais, en 1939, il sera victime de l’offensive conjointe des Allemands et des Soviétiques, les 1er et 17 septembre 1939. La Deuxième Guerre mondiale va laisser entre Russes et Polonais un héritage particulièrement lourd. Il y a eu d’abord, au printemps de 1940, le massacre des officiers polonais perpétré dans la forêt de Katyn qui, contre toute évidence, sera un temps imputé aux Allemands. À l’été 1944, alors que la capitale polonaise s’insurge conte l’occupant nazi, l’Armée rouge stoppe son offensive et laisse les Allemands écraser la révolte.
La période communiste qui voit la Pologne devenir une démocratie populaire laisse aussi de lourdes traces, jusqu’à ce que l’action conjuguée de Lech Walesa et du pape polonais Jean Paul II contribue à la fin de la guerre froide et à la disparition de l’URSS. Quand la Pologne, contrairement aux engagements pris par les Américains auprès des derniers dirigeants soviétiques, rejoint l’OTAN, c’est perçu comme une menace pour les Russes et, depuis, les Polonais, toujours méfiants vis-à-vis des intentions hégémoniques prêtées à leur puissant voisin, ont fait le choix d’un alignement sur les projets géopolitiques américains de roll back de la Russie ; on l’a notamment constaté lors des derniers événements d’Ukraine.
NRH : Wladimir Berelovitch a parlé du « Grand Siècle russe » pour désigner le XIXe siècle, là où l’idée dominante a longtemps vu un pays arriéré et réactionnaire. Que pensez-vous de cette contradiction ?
J-PA : Le XIXe siècle est incontestablement un grand siècle, qui s’ouvre avec Pouchkine (1799-1837), le plus grand poète russe et le règne de l’empereur Alexandre Ier (1801-1825) et s’achève avec le règne d’Alexandre III (1881-1894) dont la mort a souvent été perçue par ses contemporains comme la fin de la Russie. La victoire obtenue en 1812 contre Napoléon fait de l’Empire des tsars le garant de l’ordre européen et la puissance alors acquise par le souverain russe encourage une politique d’expansion stoppée en 1854-1856 par la guerre de Crimée et en 1878 par le congrès de Berlin. Sur le plan économique, le XIXe siècle voit, dans sa dernière partie, un spectaculaire développement du pays, qui s’équipe en matière ferroviaire et exploite ses immenses ressources. L’empire se modernise avec l’abolition du servage de 1861 et l’essor rapide de l’industrie.
Sur le plan culturel, le XIXe siècle voit N. M. Karadzine écrire en 1818 les huit premiers tomes de l’Histoire de l’État russe alors que se mettent en place une multitude de sociétés savantes. Dans le domaine littéraire, la dynamique initiée par Pouchkine se poursuit avec des auteurs qui appartiennent aujourd’hui au patrimoine littéraire mondial, tels que Lermontov, Gogol, Nekrasov, Dostoïevski, Tourgueniev… On ne peut oublier la musique illustrée par Balakirev, Moussorgski, Borodine ou Rimsky Korsakov…
De ce point de vue, W. Berelovitch a tout à fait raison d’employer ce terme de « grand siècle » à propos de la Russie du XIXe, ce qui nous montre que des lectures très différentes ont pu se succéder d’une génération à l’autre, la propagande communiste triomphante il y a quelques décennies présentant la Russie tsariste comme un pays totalement archaïque, affecté de pesanteurs insurmontables.
NRH : L’opposition entre « Occidentaux » et « Slavophiles » apparue au XIXe siècle demeure-t-elle pertinente aujourd’hui sur la scène politique et idéologique russe ?
J-PA : Cette opposition n’a pas complètement disparu et conserve une certaine pertinence. Dans la construction de la Russie d’aujourd’hui on distingue ceux qui aspirent à s’ouvrir aux influences européennes et ceux qui comptent davantage sur les perspectives qu’offre l’Union eurasienne ; le président Poutine a cependant fixé le cap : « Nos priorités sont d’améliorer nos institutions démocratiques et notre économie ouverte, d’accélérer notre développement interne en tenant compte de toutes les tendances modernes positives observées dans le monde, et en consolidant notre société sur la base des valeurs traditionnelles et du patriotisme. Nous devons nous engager dans un dialogue sur la nécessité de créer un espace commun pour la coopération économique et humanitaire s’étendant depuis l’Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique. » C’est sur la base d’un tel projet que pourrait être surmontée l’opposition entre Occidentaux et Slavophiles.
NRH : De Dostoïevski à Tolstoï ou à Soljenitsyne, en quoi la littérature russe témoigne-t-elle d’une vision particulière du monde ?
J-PA : La littérature russe présente en effet des traits particuliers. Des écrivains ont construit de grandes fresques historiques – ainsi Tolstoï dans Guerre et Paix (1869) ou Anna Karénine (1877) – mais la littérature russe est aussi marquée par une quête métaphysique passionnée. Dans ce registre le maître incontesté est bien sûr Dostoïevski avec Crime et châtiment (1866), L’Idiot (1868) ou Les Frères Karamazov (1880). Enfin la révélation de l’univers concentrationnaire soviétique nous a été donnée par Alexandre Soljenitsyne dans sa Journée d’Ivan Denissovitch (1962) et son Archipel du Goulag (1973). La littérature russe est donc à la fois présente dans le réalisme social et politique mais aussi dans la quête permanente de l’existence de Dieu.
Pour nombre de romanciers russes et toujours pour les plus grands, la société n’est qu’une étape temporaire de la marche de l’Humanité vers la Jérusalem céleste et n’a de sens que dans la recherche de la transcendance et la quête du divin. En ce sens, pour un écrivain russe, l’écriture d’un roman s’apparente à « l’écriture » d’une icône.
NRH : Comment interprétez-vous le « retour » de la Russie traditionnelle, après soixante-dix ans d’un régime qui a cherché à l’éradiquer ?
J-PA : La Russie, pour reprendre la belle formule du byzantiniste Paul Lemerle, est « une civilisation d’héritiers » qui s’inscrit d’abord dans le paysage par ses églises, s’exprime par sa langue et sa liturgie, de telle sorte que les soixante-dix ans de régime communiste ont disparu de la même manière que l’iconoclasme byzantin en son temps. Ce dernier a duré un peu plus longtemps (730-843) mais il a complètement disparu dans l’Empire d’Orient avec le retour des images.
C’est tout naturellement, après le vide sidéral qu’a engendré la chute du communisme, que les Russes se sont tournés vers leur passé, leur culture et leur histoire pour se rassembler dans la perspective commune d’une restauration de la grandeur russe, ce qu’a parfaitement su utiliser Vladimir Poutine.
Aujourd’hui, la Russie est majoritairement perçue par les Russes comme porteuse d’avenir. Les sanctions occidentales ont d’ailleurs joué un rôle non négligeable dans l’accélération de cette prise de conscience. Les Russes sont prêts à accomplir des efforts considérables pour assumer eux-mêmes leur avenir. Ils sont conscients qu’ils ont leur destin entre leurs mains. Ils ne sont pas prêts à geindre et à se plaindre, mais à se rassembler pour effectuer les reconquêtes nécessaires. Ils témoignent ainsi d’une mentalité tout à fait étrangère à celle qui prévaut dans la plupart des pays d’Europe occidentale.
NRH : Quelle est la vision qui prévaut aujourd’hui en Russie de la révolution bolchevique et de ses principaux acteurs ? Existe-t-il une nostalgie du communisme ?
J-PA : La révolution bolchevique est le plus souvent perçue comme ayant insufflé une formidable dynamique, qui s’est traduite par un exceptionnel développement de la puissance russe, mais aussi de la science, de l’économie et des réussites technologiques dont les succès spatiaux demeurent le symbole. La révolution bolchevique est, aussi, souvent associée au souvenir d’une société dans laquelle chacun était à sa place, sans chômage ni crises, ce qui contraste beaucoup avec ce que la Russie a connu ensuite mais demeure difficile à comprendre en Occident où l’on a surtout retenu les pénuries et les retards dans le domaine de la consommation, en même temps que le caractère coercitif du régime. Cette idéalisation relative est d’autant plus forte que, depuis 1991, la Russie a traversé de terribles périodes de crises perçues parfois comme une arme utilisée contre elle par les Occidentaux.
Il n’y a pourtant pas de nostalgie du communisme. Les crises qu’a traversées le pays au cours du dernier quart de siècle ont fourni de nombreuses opportunités électorales aux communistes mais, aux pires moments, ceux-ci n’ont pas pu réunir plus de 30 % des électeurs.
NRH : Comment expliquez-vous que l’image de Staline chef de guerre demeure positive dans l’imaginaire russe et semble l’emporter sur la mémoire des crimes commis alors par le régime ? Est-ce un refus de céder à des tentatives extérieures de culpabilisation, analogue à celui que l’on constate, par exemple, en Turquie ou au Japon ?
J-PA : Dans la profondeur de la mémoire russe, l’image de Staline reste associée au discours qu’il a prononcé le 3 juillet 1941 et à ses premières paroles : « Camarades ! Citoyens ! Frères et Sœurs ! Combattants de notre armée et de notre flotte… » C’est alors, dans la lutte contre l’envahisseur, que naît vraiment l’homo sovieticus. Pour les Russes, Staline demeure comme le vainqueur d’Hitler et les crimes de masse qu’il a accomplis – les millions de morts du goulag, de la liquidation des koulaks ou des famines organisées – ne sont pas retenus contre lui. Instruire le procès posthume du vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale, qui a donné à la Russie un maximum de puissance, était impossible car cela risquait de faire imploser l’ensemble d’une société rassemblée dans le mythe fondateur de la Grande Guerre patriotique.
Il faut aussi voir probablement là un refus collectif d’assumer une quelconque culpabilité dont on sait comment elle peut être instrumentalisée.
NRH : Comment évaluer aujourd’hui le poids retrouvé de l’orthodoxie dans la Russie de 2015 ?
J-PA : L’orthodoxie a d’abord été l’arbre de vie auquel les Russes se sont accrochés après l’effondrement de l’URSS. Pour comprendre la place de l’Église dans l’État laïque qu’est la Russie, il faut se souvenir que celle-ci est l’héritière de l’Empire romain d’Orient et que, dans cette tradition, le bien commun de la société résulte du dialogue constant, de la symphonie entre les deux pouvoirs. C’est en ce sens qu’il faut lire le rôle de l’Église russe qui assure la ligne morale de la société et le refus d’officialiser les marges libertaires dont la légalisation ferait courir à celle-ci un risque majeur. L’Église russe est en outre garante du maintien de la langue traditionnelle, le slavon, de la liturgie et de l’art dont le rôle de ciment social apparaît déterminant.
NRH : Georges Sokoloff a parlé de « puissance pauvre » et de « retard russe » en se référant aux critères occidentaux. Comment jugez-vous le regard qu’il porte sur la Russie ?
J-PA : Il est incontestable, à l’aune des standards européens, que la Russie cumule certains retards mais elle n’est pas pauvre pour autant. On présente trop rapidement la Russie comme un État vivant de la rente pétrolière et gazière et il est vrai qu’elle aurait pu, depuis 1991, avancer plus rapidement en matière d’investissements structurels mais les sanctions d’aujourd’hui vont fatalement favoriser une réindustrialisation, tout comme le développement de certains secteurs agricoles. Après un hiver démographique très inquiétant, le taux de natalité a commencé à remonter, les ressources énergétiques et minérales sont impressionnantes.
C’est un effort de longue haleine qui attend le pays dont les résultats seront déterminés aussi par l’évolution d’un contexte international aujourd’hui très incertain.
NRH : Poutine est un Pétersbourgeois dont il est clair qu’il faisait, comme son modèle Pierre le Grand, le choix de l’Europe. Le rejet dont il a été l’objet le tourne aujourd’hui vers un projet « eurasien ». Cette attitude vous paraît-elle définitive ?
J-PA : Il suffit, pour répondre, de relire le discours que Vladimir Poutine a prononcé à Sotchi à l’occasion de la réunion du club de Valdaï, le 24 octobre 2014 : « Certains disent aujourd’hui que la Russie tournerait le dos à l’Europe et rechercherait de nouveaux partenaires commerciaux, surtout en Asie ; ce n’est absolument pas le cas, notre politique active dans la région Asie Pacifique n’a pas commencé hier et elle n’est pas une réponse aux sanctions ; c’est une politique que nous suivons depuis maintenant un bon nombre d’années. Comme beaucoup d’autres pays, y compris les pays occidentaux, nous avons vu que l’Asie joue un rôle de plus en plus important dans le monde, dans l’économie et dans la politique, et nous ne pouvions simplement pas nous permettre d’ignorer ces développements. […] Cela ne signifie pas que nous nous désintéressons d’un dialogue entre l’Eurasie et l’Union européenne. »
NRH : Que penser de l’alliance en cours entre Russie et Chine, au-delà de la seule Organisation de coopération de Shanghai ?
J-PA : La Russie et la Chine ont des économies présentant une forte complémentarité ; le développement de la Chine et son industrialisation très rapide lui imposent de disposer de ressources énergétiques sûres alors que la Russie se présente comme un eldorado pétrolier et gazier, riche également de ses matières premières. La coopération est de ce fait tout à fait naturelle. Il est incontestable que les sanctions occidentales, notamment l’accès aux financements bancaires, ont poussé les Russes à pallier ces difficultés en se tournant vers la Chine et, plus largement, vers l’Asie.
Le rapprochement sino-russe est souvent décrit en Occident comme un épisode transitoire, le décalage démographique et l’avenir de la Sibérie orientale devant à terme créer les conditions d’un antagonisme entre les deux puissances. Je ne partage pas cette analyse et crois plutôt que le rapprochement avec la Chine, mais aussi l’Inde et plus largement les BRICS, constitue une première étape de la construction d’un nouvel ordre mondial qui va s’inscrire dans la durée.
C’est d’ailleurs ce qui inquiète les États-Unis, qui craignent de voir s’organiser une nouvelle force politique et économique échappant à leur tutelle. C’est un jeu qui s’inscrit dans la longue durée car les Orientaux n’ont pas le même rapport au temps.
NRH : En quoi les Occidentaux qui jugent de la Russie se trompent-ils aujourd’hui si souvent à son sujet ?
J-PA : Les Occidentaux qui jugent de la Russie ont le plus souvent en commun leur connaissance extrêmement superficielle du pays. Ils s’en remettent aux images et aux idées reçues remontant à la guerre froide, privilégiant le souvenir du KGB, qui semble perdurer dans le FSB, celui des goulags et de la menace que constituait l’Armée rouge déployée jusqu’au cœur de l’Europe. Face à la Russie, les Européens sont donc au mieux sur leurs gardes, au pire dans une attitude de franche hostilité, ce qu’ont largement confirmé les développements de la crise ukrainienne.
Mais les Russes – qui ont traversé un XXe siècle assez terrifiant – en ont tiré une remarquable capacité de résilience. Ils ne cherchent pas à reconstituer un empire soviétique devenu au final un fardeau. Ils entendent se ménager à leurs périphéries une zone d’influence qu’ils jugent, au regard des leçons de l’Histoire, nécessaire à leur sécurité, tout en espérant constituer demain un pont entre l’Europe et l’Asie orientale.
NRH : La Russie peut-elle apparaître aujourd’hui, selon vous, comme porteuse d’une alternative civilisationnelle à un modèle occidental éclaté par la société marchande mondialisée ?
J-PA : Je ne crois pas que la Russie puisse servir de modèle civilisationnel à l’Occident. Héritière de la tradition romaine orientale, la Russie est porteuse d’une espérance eschatologique qui a complètement disparu d’Occident. Elle est encore et toujours « la troisième Rome et de quatrième il n’y aura pas ». Elle est porteuse en cela d’une dynamique qui inscrit son destin et son avenir dans le temps eschatologique de la Parousie. Cette représentation ne peut se transposer dans un Occident qui est à la recherche de valeurs démocratiques susceptibles de rassembler une société fracturée par l’individualisme et les communautarismes. La Russie est un autre monde, certainement pas un modèle…
Propos recueillis par Pauline Lecomte
Repères biographiques
Jean-Pierre Arrignon
Agrégé d’histoire, professeur aux universités de Poitiers puis d’Arras, Jean-Pierre Arrignon a enseigné à l’École des hautes études en sciences sociales. Médiéviste, d’abord spécialiste d’histoire byzantine, il s’est ensuite consacré à l’étude de l’histoire russe (La Russie médiévale, Les Belles Lettres, 2003 et Russie, Coll. Culture-guides, Puf-Clio, 2008).
Boutique. Voir l’intégralité des numéros : cliquez ici
-
NRH n°62
Septembre-octobre 2012. Les droites radicales en Europe, 1900-1960. L’Action…
-
NRH HS n°3
Hors-série n°3 (automne-hiver 2011). La guerre de Sécession 1861-1865.
-
NRH n°18
Mai-juin 2005. 1945 : la guerre en questions. Nouveaux regards des historiens…
-
NRH n°84
Mai-juin 2016. 1941-1945 : Front de l'Est. Le renseignement avant Barbarossa…