Éditorial et sommaire du n°76 (janvier-février 2015)
Churchill, un destin britannique
Le cinquantième anniversaire de la disparition de Winston Churchill fournit l’occasion d’évoquer la figure d’un « géant du XXe siècle », d’un homme d’État dont l’action fut à l’évidence décisive au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Les célébrations à venir apparaîtront à coup sûr comme une revanche du « grand homme », si longtemps décrié par une histoire méprisant l’événement, privilégiant les masses et la longue durée, valorisant les analyses sociologiques ou économiques et ignorant les individus, fruits de déterminismes censés leur échapper complètement.
Comme ce fut le cas pour d’autres avant lui et pour certains de ses contemporains, la destinée de Churchill témoigne au contraire du rôle majeur que peuvent jouer certains hommes d’exception pour orienter le cours des choses et affirmer, en des circonstances particulières, le chemin de la puissance ou la voie du salut pour une nation ou pour un peuple. La guerre fournit ainsi à ce politicien jugé fini par ses pairs l’occasion inattendue d’incarner une volonté de résistance jusqu’au-boutiste qui fera de lui l’un des principaux acteurs du gigantesque conflit. Contre tous les déterminismes qui semblent condamner l’Angleterre à l’été 1940, contre les tentations du compromis et malgré les épreuves endurées, Churchill va manifester des qualités de caractère et de volonté qui s’inscrivent dans la part d’imprévu et de surprise que révèle en tout temps l’histoire en train de se construire.
Rendre aux « grands hommes » la place qui leur revient ne signifie pas qu’il soit inévitable de sombrer dans les hagiographies bien pensantes car, dans le cas de Churchill, le bilan du personnage apparaît mitigé. L’homme était courageux, il l’a montré au cours de sa jeunesse aventureuse mais il est aussi excessif, trop sûr de lui, porté à se laisser entraîner par une imagination débordante qui le conduit parfois à ignorer le poids des réalités, capable d’emportements qui surprennent chez un décideur de ce niveau. Sujet à des états dépressifs, il présente une personnalité complexe, tout à fait originale dans la classe politique britannique de son temps.
Premier Lord de l’Amirauté en 1914, il est l’inspirateur de la désastreuse opération des Dardanelles, qu’il se verra longtemps reprocher, mais son poste de ministre de l’Armement fait de lui un prophète de la guerre mécanique. Chargé des colonies, il est, pour une bonne part, à l’origine de la calamiteuse fragmentation du Proche-Orient post-ottoman. Revenu vers le camp conservateur qu’il avait abandonné pour rejoindre les whigs, il sera promu par Baldwin au ministère des Finances au moment où la crise touche la Grande-Bretagne. Il connaîtra bientôt une longue traversée du désert qui le verra faire des choix malheureux : contre les négociations préparant l’indépendance de l’Inde, en faveur du roi Édouard VIII au moment de son abdication, contre les accords de Munich alors que Chamberlain affirme avoir « sauvé la paix pour une génération ». La fin de la Tchécoslovaquie et la guerre engagée pour la Pologne légitiment a posteriori les mises en garde formulées en amont par cet électron libre de la vie politique anglaise.
Celui qui avait affirmé son admiration pour Mussolini et sa sympathie pour le camp franquiste était en revanche farouchement hostile à Hitler. C’est de cette détestation qu’il tirera l’énergie nécessaire pour diriger le Royaume-Uni réduit, pendant un an, à combattre seul contre l’Axe. Des projets de recours à la guerre bactériologique aux bombardements stratégiques des villes allemandes, tous les moyens seront bons pour en finir avec le IIIe Reich.
La victoire est au rendez-vous en 1945. Mais celui qui se déchaînait en 1938 contre l’appeasement souhaité par l’opinion britannique adoptera plutôt cette posture face à l’URSS stalinienne. Il rêve en réalité d’un espace anglo-saxon, certes dominé par les États-Unis, mais au sein duquel l’Angleterre continuerait à participer à la maîtrise du monde. L’Europe occidentale n’est pour lui qu’un avant-poste face à la nouvelle puissance continentale soviétique.
Sa détestation de l’Allemagne, qui remonte aux années précédant la Première Guerre mondiale, et sa francophilie toute relative – il considère que la France est, après 1945, incapable de tenir réellement le rôle d’une grande puissance – font qu’il représente une Angleterre nostalgique de ses gloires impériales et résolument tournée vers le grand large.
Philippe Conrad
Courrier des lecteurs
Éditorial
Churchill, un destin britannique. Par Philippe Conrad
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- John Churchill, duc de Malborough. Par Philippe Conrad
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- Le choc Churchill/De Gaulle. Par Frédéric Le Moal
- Churchill, anticommuniste ou realpolitiker ? Par Thierry Buron
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