Caspar Wolf et la conquête énergique de la nature
Avec son traitement radicalement nouveau du paysage alpin, le peintre suisse Caspar Wolf (1735-1783) fut l’un des plus importants précurseurs du Romantisme européen. Restée longtemps ignorée, son œuvre a été redécouverte voici tout juste 70 ans.
Peintre paysagiste, il ne chercha pas à dramatiser et tenta une description objective de la nature. C’était là une approche moderne qui annonçait le siècle suivant, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle conception du paysage. Les « stériles rochers » ne seraient plus considérés comme un chaos effrayant, terreur des montagnards et des promeneurs, mais comme un univers sublime susceptible d’exercer une influence positive sur l’âme humaine et même, d’ouvrir les portes de la liberté. En effet, introduisant l’univers alpestre dans la peinture, Caspar Wolf contribua à l’élaboration du mythe de la Suisse, censée être le lieu où s’épanouissait dans des paysages sublimes une humanité innocente et naturelle, parée des vertus que conférait la dignité républicaine.
Né dans le canton d’Argovie, formé à Augsbourg puis à Munich, Wolf pénétra le territoire vierge de la haute montagne avec une étonnante assurance esthétique. Sa confrontation intensive avec l’art français pendant son séjour à Paris en 1770-1771 paraît avoir été déterminante, comme le montrent dans l’exposition, des tableaux de François Boucher, de Claude-Joseph Vernet et d’Hubert Robert. Mais ce fut surtout la rencontre entre Caspar Wolf et Abraham Wagner qui allait changer le destin du peintre.
L’éditeur bernois Wagner nourrissait un projet ambitieux : la publication d’un ouvrage encyclopédique sur les paysages alpins, avec des illustrations de qualité qui devaient reposer sur l’observation directe de la nature. Pour les parties rédigées de l’ouvrage, Wagner choisit comme auteur un savant, le pasteur Jacob Samuel Wyttenbach. Caspar Wolf accompagna ces deux complices dans leurs longues expéditions en haute montagne et sut transmettre par l’image cette expérience unique de la nature. Entre 1773 et 1779, il réalisa ainsi une série de 150 œuvres consacrées aux Alpes suisses. Ses esquisses à l’huile réalisées sur place, et ses tableaux peints ensuite à l’atelier sur la base des premières, allient l’observation spontanée avec une mise en forme artistique très savante. Avec lui, le peintre se fait géographe, géologue, botaniste. Il représente avec bonheur gouffres et glaciers, cascades et grottes, ponts et torrents, lacs et hauts plateaux.
Ces œuvres furent par la suite éditées sous forme d’eaux-fortes coloriées à la main. Leur postérité fut féconde et bientôt William Turner et Caspar-David Friedrich, parmi beaucoup d’autres, firent des Alpes le champ privilégié du romantisme pictural européen.
La belle exposition du musée des Beaux-Arts de Bâle rassemble 126 œuvres de Caspar Wolf et de ses contemporains, ainsi qu’une sélection de photographies actuelles des lieux qu’il a peints.
Éric Mousson-Lestang
À propos de
Exposition : Caspar Wolf et la conquête esthétique de la nature. Jusqu’au 1er février 2015 | Kunstmuseum Basel (Suisse). www.kunstmuseumbasel.ch
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