Taine, une critique conservatrice de l’Ancien Régime
Adversaire tardif de la Révolution, Hippolyte Taine (1828-1893) était le contraire d’un contre-révolutionnaire. Il était avant tout un esprit libre et d’une infinie curiosité. Philosophe de formation, historien comparatiste par vocation, Taine était attentif aux apports nouveaux de la sociologie, de la psychologie.
Jean-Paul Cointet le dit fort bien dans sa préface qui vient appuyer celle de 1986 dans laquelle François Léger retraçait l’itinéraire peu ordinaire de Taine. Reçu premier à l’École normale supérieure en 1848, il échoua à l’agrégation pour avoir montré trop de liberté à l’égard des dogmes philosophiques du moment. Sa vie fut celle d’un écrivain indépendant qui avait renoncé à la carrière universitaire. Il se fit connaître, entre autres, par une Histoire de la littérature anglaise (1864) saluée par Sainte-Beuve. Il y actualisait ce qu’il avait déjà écrit dans son Essai sur les Fables de la Fontaine (1853) : la littérature est une des meilleurs portes d’accès au passé pour l’historien. Cela restera une clef de ses interprétations : la littérature s’explique par les époques qui l’ont produite. Et de ces époques, elle révèle le sens.
Longtemps indifférent au débat politique, Taine est soudain réveillé par le traumatisme de 1870 : « J’ai l’âme comme une plaie ; je ne savais pas que l’on tenait tant à sa patrie ! » Il se trouve associé au grand élan de douleur patriotique qui soulevait alors Michelet et Renan, Fustel et Littré. Un devoir nouveau s’impose à lui, qui va absorber toutes ses forces jusqu’à sa mort : rechercher les causes du malheur français. Ce sera son œuvre magistrale : Les Origines de la France contemporaine. Ses travaux antérieurs avaient été d’utiles préparations. Sa culture était immense et ses curiosités universelles. Son esprit philosophique était rare chez les historiens de son temps, surtout collecteurs de faits.
Qu’est-ce que la France contemporaine ? À la fin du XVIIIe siècle, « pareille à un insecte qui mue, elle subit une métamorphose. Son ancienne organisation se dissout ; elle en déchire elle-même les plus précieux tissus et tombe en des convulsions souvent mortelles. Puis, après des tiraillements multiples et une léthargie pénible, elle se redresse. Mais son organisation n’est plus la même ; par un sourd travail intérieur, un nouvel être s’est substitué à l’ancien. » Pour comprendre la France contemporaine, il fallait donc se tourner « vers la crise terrible par laquelle l’Ancien Régime a produit la Révolution et la Révolution le Régime nouveau. »
Pour Taine, c’est bien l’Ancien Régime qui a produit la Révolution. Thèse déjà soutenue par Tocqueville, mais que Taine développe avec une ampleur écrasante. L’Ancien Régime est mort d’avoir tué tous les corps intermédiaires, à commencer par la noblesse, ne laissant subsister que des individus face à un monstre froid, l’État. À cette désertification de la société s’est superposée une fermentation intellectuelle que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe. Elle a combiné l’esprit scientifique du XVIIIe siècle au legs de l’esprit classique : « Boileau, Descartes, Corneille, Racine, Fléchier, etc., sont les ancêtres de Saint-Just et de Robespierre. »
Taine s’en explique longuement : une fois que le dogme monarchique et religieux eut été usé par ses excès et renversé par l’interprétation scientifique du monde, « l’esprit classique a produit fatalement la théorie de l’homme abstrait et le contrat social. » Nous n’en sommes pas encore sortis.
Dominique Venner
À propos de
Les Origines de la France contemporaine. Par Hippolyte Taine, Robert Laffont, Bouquins, 1708 p., 35 €
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