La Nouvelle Revue d'Histoire : "L'histoire à l'endroit". Fondée en 2002 par Dominique Venner et dirigée par Philippe Conrad.

En Indochine et ailleurs, l’aventure coloniale de la France n’avait été qu’un moment particulier du grand mouvement d’expansion qui jeta les Européens sur toutes les routes du monde, véritable mouvement tellurique, au même titre que les grandes invasions, les changements climatiques ou les effets des révolutions techniques. La faiblesse attire la force comme le vide attire le plein, et personne n’y peut rien.

Éditorial et sommaire du n°12 (mai-juin 2004)

Éditorial et sommaire du n°12 (mai-juin 2004)

Le choc de la colonisation

Si l’on s’intéresse aux causes lointaines, la guerre d’Indochine n’a pas commencé en 1945, mais trois siècles plus tôt, en 1625, quand débarque au Vietnam un jésuite français, le R.P. Alexandre de Rhodes. À sa façon, cet homme remarquable est un conquérant, comme ses confrères qui entreprennent à la même époque une tâche analogue au Japon et en Chine. S’emparer des esprits n’est pas la moindre des conquêtes. Ces missionnaires s’inscrivent dans le grand mouvement d’expansion occidentale qui a commencé au siècle précédent. La propagation d’une religion radicalement étrangère à la tradition d’un pays de très ancienne civilisation, provoquera au fil du temps des réactions de défense immunitaire. Elles seront d’autant plus vives que, dans le sillage des missionnaires, accostent des commerçants aux dents longues, des marins et des soldats. En dehors d’exceptions, les colonisateurs sont aussi universalistes dans leurs desseins que les Américains d’aujourd’hui, convaincus qu’ils sont d’apporter « la » civilisation et le « progrès » pour le bien de tous. Ainsi débute l’histoire équivoque de la colonisation qui, pour l’Indochine, ne devient effective qu’à partir de 1858.

Après coup, quand viendra l’énorme lame de fond du reflux européen, il sera facile de juger le passé avec sévérité et de se livrer aux délices de l’auto-culpabilisation. L’anticolonialisme dressera le tableau le plus noir du passé, provoquant des ripostes qui flatteront les réussites en masquant les ombres. Polémiques stériles. En Indochine et ailleurs, l’aventure coloniale de la France n’avait été qu’un moment particulier du grand mouvement d’expansion qui jeta les Européens sur toutes les routes du monde, véritable mouvement tellurique, au même titre que les grandes invasions, les changements climatiques ou les effets des révolutions techniques. La faiblesse attire la force comme le vide attire le plein, et personne n’y peut rien.

Au XIXe siècle, face à l’envahissante supériorité technique et matérielle de l’Europe et des États-Unis, si elles voulaient survivre sans être dominées, les autres nations, notamment en Asie, étaient contraintes de s’occidentaliser, donc de se renier. Défi gigantesque et souvent mortel auquel le Japon a été le seul à répondre par ses propres moyens. Ce fut une formidable révolution que celle de l’ère Meiji, conduite par la caste militaire des samouraïs, mais révolution réussie puisqu’elle est parvenue à préserver une part réelle de la tradition japonaise au sein de la modernité. L’Inde constitue un cas à part dans la mesure où la colonisation britannique, n’ayant pas eu un effet de « table rase », a laissé subsister une part notable de la tradition hindoue enracinée dans le système des castes. Pour la Chine et le Vietnam (1), il n’en fut pas de même. La modernité leur fut imposée de l’extérieur, par l’adoption de systèmes spirituels étrangers, destructeurs de leur tradition spécifique. En Chine, ce fut le rôle du communisme, système mental et social issu des pathologies européennes. Quant au Vietnam, il subit d’abord l’acculturation de la colonisation française, et fut laminé ensuite, comme la Chine, par le communisme qui sut exploiter à son profit un puissant éveil nationaliste.

Après 1945, le reflux fut plus ou moins intelligemment conduit. Les Britanniques, dont l’empire était beaucoup plus vaste que celui de la France, ont su réaliser leur retrait le moins mal possible pour eux-mêmes. On ne peut en dire autant des Français. Au Vietnam, l’aveuglement de tous les gouvernements, depuis 1945, a conduit à une guerre cruelle que le pouvoir politique refusait d’assumer tout en s’y soumettant. Ne furent grands que les combattants. Alors que la société politique de l’époque n’inspire que mépris et dégoût, les soldats furent souvent admirables. C’est en eux que se maintenait l’âme d’un pays veule et assoupi.

Dans les derniers jours de la bataille de Dien Bien Phu, alors que tout était perdu, 1 520 volontaires dont 680 non parachutistes se présentèrent pour sauter dans la fournaise. Parmi eux, des plantons et des secrétaires. Pourquoi ont-ils fait cela ? Pour les copains, par enthousiasme sacrificiel, par une sorte d’espérance tragique. Dans les heures noires comme dans les autres, souvenez-vous de ceux-là. Ils incitent à se tenir debout.

Dominique Venner

Notes

  1. Il faut distinguer le Vietnam (Tonkin, Annam et Cochinchine, les trois “Ky”) et l’Indochine, création coloniale française unissant le Vietnam, le Cambodge et le Laos.
Courrier des lecteurs
Éditorial

Le choc de la colonisation. Par Dominique Venner

Actualité de l’histoire

Portrait/Entretien

Michel Pastoureau, un décrypteur de sens. Entretien recueilli par Pauline Lecomte

Découvertes
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  • La Russie en questions. Par François-Georges Dreyfus
  • Jeu : Charles VI et son temps. Par Emma Demeester
Dossier : L’Indochine française
  • Présentation du dossier
  • De l’amitié au conflit (1776-1858). Par Xavier Guillaume
  • 1858-1939 : La perle de l’Empire. Par Philippe Conrad
  • Francis Garnier, l’explorateur du Mékong. Par Philippe Conrad
  • L’amiral Decoux à la barre. Par Philippe Grandjean
  • Les grandes étapes de la guerre d’Indochine. Par Pierre Montagnon et Charles Vaugeois
  • Résistance autochtone et guerre secrète. Par Michel David
  • Le piège se referme. Par Charles Vaugeois
  • Dien Bien Phu. Par Pierre Pellissier
  • Une femme à Dien Bien Phu, Geneviève de Galard. Propos recueillis par Éric Vatré
  • Celles dont on ne parle jamais. Par Pierre Pellissier
  • Le secret de Giap. Par le professeur Le Huu Khoa. Propos recueillis par P. Lecomte
  • L’affaire Boudarel. Par Guy Chambarlac
  • Rencontre avec le commandant Faulques. Entretien réalisé par D. Venner
Livres
  • Le Débat : L’Armée de Vichy. Un livre de Robert O. Paxton. Avec François-Georges Dreyfus et Philippe Masson
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