Éditorial et sommaire du n°11 (mars-avril 2004)
Le sommeil du volcan
Prenons date sans négliger d’écouter l’herbe pousser.
En apparence, rien ne change, rien ne bouge. Cahin-caha, les institutions se maintiennent. L’espace retentit toujours des mêmes discours convenus. Telle est l’apparence que viennent ébranler de temps en temps des chocs imprévus. Un 21 avril, que la presse, peu avare d’hyperboles, qualifia de « séisme ». Et maintenant une affaire de « voile » islamique qui révèle une France fracturée dont la substance a été clandestinement transformée.
Dans le silence, depuis une grosse dizaine d’années, se produisent bien d’autres changements qui mériteraient d’être enregistrés, commentés, interprétés. Mais tant qu’ils ne provoquent pas d’événements spectaculaires, dramatiques et si possible sanglants, on ne les voit pas. Ainsi l’islamisme, dans sa version moderne, s’était développé depuis la fondation des Frères musulmans, au Caire, en 1929, puis à la faveur de la décolonisation. Il a pris une envolée décisive avec la révolution iranienne de 1979, l’aggravation du conflit israélo-palestinien et l’intervention soviétique en Afghanistan. Mais sa réalité ne s’est imposée dans les médias, donc dans la conscience du public qu’après le spectaculaire attentat du 11 septembre 2001.
La renaissance d’identités régionales que l’on croyait disparues est l’une de ces nouveautés de première grandeur qui passent inaperçues. Comme elle n’a pas de traduction politique, on la cantonne dans la rubrique des loisirs, du folklore, du tourisme ou du spectacle. Et pourtant, il s’agit de tout autre chose.
Voici une cinquantaine d’années, la musique bretonne se limitait aux chansons de Théodore Botrel, chantre de la Bretagne de Bécassine. Dans les années 1960, Glenmor a ouvert une voie nouvelle. Sa démarche était libertaire et révoltée. On remarquait moins qu’elle était également identitaire. Il s’inspirait du réveil celtique de l’Irlande, de l’Écosse et du pays de Galles. Avec lui, avec Alan Stivell et d’autres est née une musique à la fois nouvelle et très ancienne. Elle empruntait les techniques du rock ou de la folk. Elle redécouvrait la cornemuse et la harpe celtique, instruments oubliés qui ont donné à cette musique son charme nostalgique. La jeunesse adhère. Cette musique est associée à la cause d’une renaissance bretonne. Avec le succès, l’aspect politique et combatif des débuts s’atténue. La musique touche un public qui déborde largement les frontières de l’Armor. Maintenant, chaque été, le Festival interceltique de Lorient, le plus important de France, accueille plus de 350 000 visiteurs, tandis que « Les Vieilles Charrues », petite fête fondée à Carhaix en 1992, draine près de 200 000 spectateurs enthousiastes, sans femmes voilées ni barbus. Autre signe, le succès de la Saint-Patrick, célébrée chaque 17 mars depuis que les Bretons ont lancé l’événement en 1993.
Morte est la Bretagne d’autrefois, terre des « ploucs, arriérés, bornés, alcooliques ». Voici revenu l’Ouest des grandes légendes, du roi Arthur et de Brocéliande. Et ce réveil ne concerne pas que les Bretons. Il est vécu par tous ceux qui ont comme ancêtres les Gaulois. L’identité celtique, fraîche, musicale, envoûtante, s’est manifestée au bon moment, comme pour répondre à un grand péril. Ce réveil trouve un écho dans le prodigieux succès rencontré au cinéma et en librairie par Le Seigneur des Anneaux. L’étonnant, c’est que le chef-d’œuvre de Tolkien, écrivain nostalgique d’un Moyen Âge rêvé, a été popularisé aux États-Unis par les hippies héritiers de la Beat Generation. Ils y trouvaient sans doute un reflet de leur propre désir d’évasion hors de la société consumériste par un retour onirique au monde enchanté des grandes épopées.
D’une façon générale, le réveil identitaire, dont la musique est l’instrument, est venu d’où on l’attendait le moins, dans un environnement libertaire et même parfois plutôt gauchiste. Ce qui est vrai pour la musique celtique se vérifie pour la musique occitane, le chant corse et des rites aussi enracinés que la tauromachie camarguaise. On peut expliquer cela de bien des façons. Nous sommes en présence d’un de ces phénomènes sismiques qui échappent aux explications des sociologues. L’historien de la longue durée est mieux armé pour comprendre ce genre de mouvement de fond. Il traduit un changement d’époque. Jadis, l’appartenance était héritée, transmise par l’autorité familiale, sans que puisse s’exercer un choix. Dans une atmosphère rebelle à toute autorité, elle était refusée. Aujourd’hui, la transmission familiale ayant cessé, l’appartenance est parée de la séduction du choix volontaire, en rupture même avec l’autorité. C’est l’un de ces inattendus de l’histoire dont il faut apprécier le sel à son juste prix.
Dominique Venner
Crédit photo : Etienne Valois via Flickr (cc). Photo du « Défilé en fête », Festival « Cornouaille 2012 ».
Courrier des lecteurs
Actualité de l’histoire
Éditorial
Le sommeil du volcan. Par Dominique Venner
Portrait/Entretien
Henri Amouroux, l’honnêteté même. Entretien recueilli par Patrick Jansen
Découvertes
- 21 mars 1804 : le duc d’Enghien. Par Anne Bernet
- Nostradamus. Par Annie Laurent
- Philippe le Bon, grand duc d’Occident. Par Emma Demeester
- Edward Gibbon, un précurseur. Par Régis Constans
- Laclos, l’auteur sulfureux des “Liaisons dangereuses”. Par Pauline Lecomte
- Bibliographie des droites. Entretien avec Alain de Benoist
- Les ambiguïtés de l’Entente cordiale. Par Philippe Conrad
- Jeu : Philippe le Bon (1396-1467). Par Emma Demeester
- De la Cagoule à la Résistance : Paul Dungler. Par Jean-Claude Valla
- L’affaire du bazooka. Révélations d’Alain Griotteray
Dossier : Des fiefs aux régions
- Quand l’historien éclaire l’électeur. Par Jean Mabire
- Éloge de la féodalité. Par Jacques Heers
- La noblesse féodale. Par Alexis de Tocqueville
- La tradition habsbourgeoise. Par Henry Bogdan
- Louis XIV et les provinces. Par Jean-Christian Petitfils
- Démythifier l’Ancien Régime. Par François Bluche
- Le centralisme républicain. Par Christophe Boutin
- Des Girondins aux régions. Par Christophe Boutin
- L’École de Nancy. Par François-Georges Dreyfus
- La quête des racines. Par Pierre de Meuse
- La déferlante celtique. Par Patrick Mahé
- Tradition, mode d’emploi. Par Pauline Lecomte
- Voile, laïcité et islamisme. Par Charles Vaugeois
- Nouvelles tribus gauloises. Par Serge Cœuroy
- Le modèle fédéral allemand. Par François-Georges Dreyfus
- Frédéric de Hohenstaufen et les libertés allemandes. Par Henry Bogdan
Livres
- Le Débat : La mémoire de 14-18. Un livre de Frédéric Rousseau. Avec François Broche et Philippe Conrad
- Actualité des livres historiques
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Novembre-décembre 2006. 1956. Budapest, Alger, Suez. La Hongrie de Horthy.
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Septembre-octobre 2005. L’Europe des Européens. De Charlemagne à…
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Mars-avril 2006. Le cinéma et l’histoire. Ces films qui réveillent notre mémoire…