Les Templiers. Au cœur des Croisades
Annexé par la franc-maçonnerie et par un ésotérisme de bazar, le mythe sulfureux des Templiers n’a pas cessé de croître. Le livre d’Arnaud de La Croix fait justice de cette mythologie douteuse.
Avec Gérard de Sède, l’énigme de Gisors a donné aux Templiers une popularité qui n’a d’égale que celle des Cathares, ressuscités grâce à l’émission télévisée La Caméra explore le temps. Dans ces deux cas, le public ne pouvait que ressentir sympathie et compassion pour les victimes de l’arbitraire royal et d’une Église assimilée aux « crimes de l’Inquisition ».
Annexés par la franc-maçonnerie, récupérés par un ésotérisme de bazar, ces mythes avaient tout pour susciter la curiosité des amateurs de mystère. La puissance de l’Ordre, sa richesse, le secret qui entourait la réception des chevaliers en son sein, la fameuse malédiction prêtée à Jacques de Molay au moment de sa mort sur le bûcher et la disparition brutale, au cours de l’année qui suivit, de Guillaume de Nogaret et de Philippe le Bel… sans oublier, bien au-delà, la mort sur l’échafaud du roi Louis XVI, ultime accomplissement des dernières paroles du grand-maître supplicié, tout cela ne pouvait que fortifier le sentiment de la terrible injustice faite aux Templiers, mais aussi la certitude que la vengeance des victimes avait été à la mesure de leur martyre.
L’existence supposée de « statuts secrets » de l’Ordre, la rumeur relative à ses trésors dissimulés, la survivance de l’organisation au-delà du XIVe siècle ont fourni tous les éléments nécessaires à la construction d’un archétype de la société secrète qui a trouvé les échos que l’on sait dans la psychologie collective. C’est le mérite de l’ouvrage écrit par Arnaud de La Croix de faire justice de toute la mythologie engendrée par la « matière templière ».
En historien rigoureux il nous ramène aux faits avérés et nous raconte – après avoir présenté le contexte de la Croisade et de la naissance des États latins de Terre Sainte – ce que fut l’aventure templière à partir de la fondation, en 1118 ou 1119, par le chevalier champenois Hugues de Payns de la « milice des pauvres chevaliers du Christ » appelée à devenir l’Ordre du Temple. Dix ans plus tard, la règle est fixée par le concile de Troyes et Bernard de Clairvaux peut bientôt rédiger à la gloire des chevaliers son De laude Novae Militiae qui dessine la figure du moine-soldat.
Durant près de deux siècles, jusqu’à ce que le Grand-Maître Guillaume de Beaujeu trouve la mort en 1291 en défendant les murailles de Saint Jean d’Acre, la dernière place de Terre Sainte demeurée aux mains des Chrétiens, les Templiers ont combattu sans trêve ni répit pour assurer la sécurité des pèlerins de Jérusalem et défendre les avant-postes toujours menacés établis par la Chrétienté latine entre la mer et le Jourdain. Les séductions qu’auraient exercé sur eux la religion de l’adversaire musulman relèvent de l’imagination des romanciers ignorants. Tout en dissipant les nuages de mystère entretenus autour des Templiers, Arnaud de La Croix s’attache à montrer ce que fut la réalité historique de l’Ordre, le sacrifice de ces milliers d’hommes de guerre au profit d’une cause dépassant leur propre existence, mais aussi les équivoques de la richesse financière et temporelle de l’Ordre, ses conflits avec l’empire de Frédéric II de Hohenstaufen et la monarchie de Philippe le Bel. L’émergence de ces premiers pouvoirs étatiques condamnait « l’organisation transnationale » qu’était le Temple. D’autant qu’avec Philippe le Bel le pouvoir étatique sort victorieux du conflit permanent avec la papauté dont dépendait l’Ordre. Il faut également signaler ici l’excellente synthèse, parue en janvier dernier, qu’Alain Demurger a consacrée aux Chevaliers du Christ, Les ordres religieux militaires au Moyen Age XIe-XVIe siècles.
A propos de
Les Templiers. Au cœur des Croisades. Par Arnaud de La Croix, Éditions du Rocher, 240 p., 18,50 €