La Nouvelle Revue d'Histoire : "L'histoire à l'endroit". Fondée en 2002 par Dominique Venner et dirigée par Philippe Conrad.

L’idée même de l’impôt s’est imposée difficilement. Elle est moderne et relativement récente.

Éditorial et sommaire du n°75 (novembre-décembre 2014)

Éditorial et sommaire du n°75 (novembre-décembre 2014)

Les Français rétifs à l’impôt

Survenue il y a quelques mois, la révolte des « Bonnets rouges » bretons a totalement surpris la classe politico-médiatique, bien incapable de prévoir de tels événements et d’anticiper en amont sur les malaises et les revendications ainsi exprimés.

Ce fut l’occasion d’un retour mémoriel inattendu, lorsque les manifestants, qui s’en prenaient aux portails établis pour percevoir l’écotaxe, commencèrent à s’identifier aux paysans mobilisés en 1674 contre une administration royale leur réclamant les taxes liées à la délivrance du « papier timbré ». La mobilisation bretonne a atteint les objectifs qu’elle visait, le gouvernement reculant sur toute la ligne à propos d’une mesure qui avait fait l’objet, lors de la législature précédente, d’un très large consensus. On pourrait donc juger irrésistible une réaction antifiscale de ce type, appuyée de plus, dans cette région particulière confrontée à l’épuisement d’un modèle économique vieux d’un demi-siècle, sur une forte conscience identitaire. Il n’en est rien car une telle révolte trouve rapidement ses limites si elle ne se greffe pas à d’autres contestations dont l’addition peut déboucher sur un basculement d’envergure.

Il n’en reste pas moins qu’en ce domaine l’avenir n’est écrit nulle part car l’accroissement général de la charge fiscale a de quoi susciter d’autres colères. Outre le choix de l’exil qu’ont fait certains des plus fortunés, ou bon nombre de jeunes attirés par des cieux plus cléments pour faire valoir leur talent ou leur expérience, l’évasion fiscale et, de manière générale, le souci de se soustraire à l’impôt demeurent toujours actuels, d’autant que le traitement infligé aux classes moyennes et aux familles ne peut qu’encourager les rebelles.

Si l’on se tourne vers le passé, l’hostilité au fisc apparaît comme une constante de notre histoire nationale. De la dénonciation de la « tyrannie de l’impôt » par les cahiers de doléances à l’agitation suscitée, au milieu des années 1950, par le mouvement poujadiste, des révoltes paysannes du XVIIe siècle à la contrebande largement pratiquée pour échapper aux impôts indirects prélevés par les agents des fermiers généraux, les Français apparaissent le plus souvent comme des contribuables récalcitrants.

L’idée même de l’impôt s’est imposée difficilement. Elle est moderne et relativement récente. La tradition héritée du Moyen Âge voulait en effet que le souverain vécût de son domaine et que l’impôt royal ne pût avoir qu’un caractère « extraordinaire », ne pouvant être prélevé qu’à l’occasion de circonstances exceptionnelles, principalement les guerres.

Au fil du temps, l’impôt va cependant se banaliser et survivre aux conflits qui avaient initialement justifié sa levée. Une fois sa nécessité admise – un consensus relatif est acquis sur ce point dès le XVIIIe siècle – diverses théories fiscales vont s’affronter pour tenter de concilier justice, simplicité et rentabilité, ce dont rendent compte les débats engagés à la veille des États Généraux et au sein de l’Assemblée constituante.

Il faut toutefois l’instauration du régime napoléonien pour que soit mise en place une administration fiscale solide et efficace, appelée à devenir l’une des « masses de granit » sur lesquelles le Premier Consul, devenu Empereur, va construire l’édifice étatique de la France contemporaine. Paradoxalement, le régime issu des années révolutionnaires va enterrer les espérances formulées en 1789, en rétablissant notamment les droits indirects, tant décriés quinze ans plus tôt.

Le prospère XIXe siècle s’accommodera ensuite des « quatre vieilles » contributions nées de la Révolution et de l’Empire. Ce n’est qu’en 1914, à l’initiative de Joseph Caillaux et à l’issue d’un long combat parlementaire, que la France adoptera, de nombreuses années après ses grands voisins européens, l’impôt sur le revenu.

L’établissement de la déclaration fiscale, l’apparition des taxes sur le chiffre d’affaires en 1920, celle de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) après la Seconde Guerre mondiale, et le recours à des taxes ou autres contributions sociales diverses – on se souvient de la vignette automobile – vont compléter et affiner l’outil mis en place par l’État pour s’assurer les ressources nécessaires, au risque d’encourager la mauvaise volonté des citoyens contribuables.

Car l’histoire a montré à diverses reprises que « l’impôt tue l’impôt » et que certains prélèvements, en décourageant l’effort et l’initiative, aboutissent à l’inverse du but recherché par le législateur.

Philippe Conrad

Courrier des lecteurs
Éditorial

Les Français rétifs à l’impôt. Par Philippe Conrad

Actualité de l’histoire
  • Entretien avec Martin Benoist
  • La chronique de Péroncel-Hugoz
Portrait/Entretien

La France détruit sa puissance. Entretien avec Christian Harbulot. Propos recueillis par Pauline Lecomte

Découvertes
  • Guillaume de Bertier de Sauvigny. Par Yves Morel
  • Brantôme, de l’épée à la plume. Par Emma Demeester
  • Des Européens aux portes de la Chine. Par Henri Levavasseur
  • 1914 : l’impossible neutralité de l’Empire ottoman. Par Tancrède Josseran
  • 1914 : la mêlée des Flandres. Par Rémy Porte
  • Le difficile apostolat de Benoît XV. Par Martin Benoist
  • Conflits autour de l’art abstrait. Par Aude de Kerros
  • Atlas des guerres africaines. Entretien avec Bernard Lugan. Propos recueillis par Virginie Tanlay
Jeu

Brantôme et son temps. Par Emma Demeester

Dossier
  • Le poids de l’impôt
  • Présentation du dossier
  • Aux origines de l’impôt royal. Par Emma Demeester
  • Soulèvements paysans contre l’impôt. Par Philippe Conrad
  • La dîme, un impôt millénaire. Par Emma Demeester
  • Gabelle, faux-sauniers et gabelous. Par Jean-Joël Brégeon
  • La Dîme royale de Vauban. Par Martin Benoist
  • Les fermiers généraux. Par Jean Kappel
  • 1789 : La tyrannie du fisc. Par Philippe Conrad
  • Napoléon et l’impôt. Par Virginie Tanlay
  • Juillet 1914 : naissance de l’impôt sur le revenu. Par Philippe Conrad
  • 1953 : Poujade, le rebelle contre le fisc. Par Philippe Parroy
Livres

Actualité des livres historiques

Boutique. Voir l’intégralité des numéros : cliquez ici

La Nouvelle Revue d'Histoire